samedi, décembre 08, 2007

KHADAFI EN VISITE A PARIS

KHADAFI
A l’occasion de la visite à Paris le 10 novembre 2007du colonel Khadafi, je publie le portrait que j’ai dressé de lui dans mon livre (La succession d’Eyadema, L’Harmattan 2006)

Il fut un temps où Kadhafi était considéré par les occidentaux comme un diable. On lui attribuait des pouvoirs maléfiques. Il figurait au tableau d'horreur de l’Occident. Les sanctions de l’embargo étreignaient la Libye. Il était en quelque sorte infréquentable.
Puis, progressivement, les choses ont changé. Le pays a voulu sortir de son isolement et a fait des ouvertures diplomatiques. Avec l’âge et l’expérience, le fougueux cheval a modéré ses ardeurs et ses excommunications, et il a surtout tissé sa toile africaine. Patiemment, inlassablement, le leader libyen a reçu les leaders africains, les a aidés. Il s’en est fait des alliés.
Dans l’Afrique francophone, il a tiré parti de la réduction de l’influence française pour pousser ses pions. Les chefs d’Etat africains ont trouvé auprès de lui l’écoute qu’ils regrettaient de ne plus avoir à Paris.

Kadhafi s’est toujours trouvé à l’étroit dans ce pays trop peu peuplé pour peser sur la scène internationale. Il a d’abord lancé ses pions unitaires vers le Maghreb. Il convainquit même un temps Bourguiba de fusionner son Etat avec le sien. L’union éclata au bout de quarante huit heures. Avec l’Algérie et avec le Maroc, les intérêts géopolitiques se heurtaient trop fort pour conduire à autre chose que des alliances de façade. Voilà pourquoi, Kadhafi a souhaité insuffler l’élan unitaire à tout le continent africain.
Son projet de constituer des Etats-Unis d’Afrique ne rencontre au début qu’une indifférence amusée. Mais, c’est mal connaitre l’obstination du colonel libyen que de penser le voir renoncer. L’Organisation de l’Unité africaine végète lamentablement. Kadhafi va alors mener un puissant travail de conviction pour favoriser les ralliements à son projet d’Union africaine.

Il va remarquablement réussir. Son apothéose se déroule à Lomé en juin 2000. Les Chefs d’Etat scellent la mort de l’OUA et la remplacent par l’Union Africaine. C’est le triomphe du guide libyen qui franchit la frontière entre le Ghana et le Togo au milieu d’une foule en liesse qui voit débarquer une sorte de cirque avec ses immenses tentes, ses amazones l’arme au poing, étrange mélange de grâce féminine et de force masculine, et surtout Kadhafi heureux de se livrer à un bain de foule et imaginant peut être à ce moment là qu’il est devenu le maitre de toute l’Afrique. Il s’ensuivra huit jours de délire pendant lesquels le guide qui a négligé les suites de l’hôtel Sarakawa s’est installé sous une gigantesque tente dressée dans les jardins.
Ce n’est pas par hasard que le sommet de l’unité se tient à Lomé. Longtemps, les rapports entre les deux Présidents ont été distants. Deux personnalités aussi fortes ont du mal à cohabiter. Le proverbe dit bien qu’il n’ y a pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot. Les heurts s’expliquent aussi par des motifs plus politiques. Eyadema est le plus fidèle allié de la France en Afrique et il ne peut avaliser les menées subversives du Guide dans les anciennes possessions africaines. Quant à ce dernier, soucieux de prôner l’islamisme, il se méfie du protestant Eyadema qui invoque son Dieu à tout bout de champ.
Les montagnes finiront par se rencontrer et par nouer des liens d’amitié. Non pas, comme on le publie souvent, par la recherche par le Président togolais de l’argent de Kadhafi - Eyadema est trop fier pour devenir solliciteur. Mais parce que les deux chefs sont arrivés à une conscience commune : face à la mondialisation, l’Afrique ne peut s’en sortir que dans l’unité non pas contre l’Occident mais avec lui ou à tout le moins à coté de lui.
"Nous devons accepter la légalité internationale en dépit du fait qu'elle soit faussée et imposée par l'Amérique ou nous serons écrasés", estime le leader libyen.
« A l'avenir, la politique libyenne sera celle de l'Union africaine et par conséquent notre pays n'agira plus seul" sur la scène internationale, proclame le dirigeant libyen et il ajoute :
"Ceux qui accusent la Libye d'être un pays rebelle ne pourront plus défendre cette thèse…. »
"La Libye ne peut plus s'accrocher aux Arabes, étourdis par la mondialisation et par le processus de Barcelone et dont la Ligue, docile et inefficace, est incapable de rivaliser avec l'Union africaine".
"L'Afrique et non plus le pétrole est désormais l'espoir de la Libye", a-t-il dit.
La nouvelle donne de la politique libyenne a rapproché le pays de l’Europe. Romano Prodi président de la Commission de l’Union européenne est devenu un proche du Guide et cette proximité aidera le Togo à renouer des relations moins heurtées avec Bruxelles. Ce rapprochement de la Libye et du Togo induit de nombreuses visites togolaises au pays de Kadhafi.
Celui-ci adore recevoir et se distraire du quotidien national par l’irruption de l’international. C’est dans le désert à proximité de Syrte qu’il préfère accueillir ses hôtes. Sous la gigantesque et somptueuse tente verte décorée de rosaces dorées, il trône l’œil vif et malicieux lorsque son regard n’est pas voilé par des lunettes Ray Ban qui introduisent ici une touche d’américanisme incongru .Il est entouré par l’ambassadeur ministre Treki qui connaît tous les cadres dirigeants de l’Afrique comme s’il les avait faits. Son directeur de cabinet, Baschir Salaeh, exerce une influence discrète et efficace dans ce système de pouvoir fortement centralisé. Tard dans la nuit, les discussions se poursuivent autour d’un thé brulant qui suffit à peine à réchauffer des froidures du désert.

Kadhafi refait le monde. Avec perspicacité, il dresse un tableau réaliste de l’état de l’Afrique. Il écoute si avidement tous les détails que ses interlocuteurs viennent lui donner qu’il en devient savant en géopolitique et à lui seul son propre service de renseignement. Promu au rang des sages, il conseille, recommande plus qu’il ne commande mais, à chacun de mesurer les risques s’il ne suit pas ses avis.
Pendant cette difficile campagne de succession, il nous reçoit à Syrte et à Tripoli alors que nous vivons des remous et des tensions. Il prend d’abord contact avec chacun de nous, se fait expliquer le rôle de chacun. Il n’ignore d’ailleurs rien de nos activités et décoche à chacun une flèche d’humour. Il me regarde, plisse ses yeux et me dit : « On m’a signalé que vous avez été le professeur du Roi du Maroc, Mohammed VI. Aussi, dorénavant, je considérerai que chaque fois que le monarque mènera une action que je n’approuve pas, vous en serez responsable.» Puis, Kadhafi se fait expliquer la situation au Togo. Il interroge, confronte nos dires avec ceux des agences de presse puis livre son verdict.
« Les difficultés internationales que vous rencontrez ne sont pas étonnantes. Pensez combien de dirigeants ont du courber la tête devant la puissance et l’autorité d’Eyadema. Ils se sont tus devant lui mais n’en pensaient pas moins. Aujourd’hui qu’Eyadema a disparu, ils relèvent la tête. Vous devez mieux expliquer ce que vous faites. Personne ne le fera mieux que vous. Vous devez rester dans le cadre constitutionnel et le faire comprendre. Organisez des élections libres et transparentes dans les délais légaux et évitez toute confrontation directe avec le peuple ».
Et le leader libyen d’ajouter : «ce qui s’est passé au Togo ce n’est pas un coup d’état mais la mort d’un Président. La vie des Etats est un compromis entre les exigences de la stabilité et celles de la légitimité. Il y a des circonstances où la stabilité et la paix sont plus importantes que le processus constitutionnel. N’oublions pas les précédents du Niger après la mort de Mainassara, la Centrafrique ou la Guinée Bissau. Je vous affirme quant à moi ma disponibilité pour aider à tout ce qui peut apaiser les tensions»
Il a tôt fait d’adopter Faure Gnassingbé. Il déclarera même « Faure c’est mon fils. » adoubant ainsi le successeur d’Eyadema.
La nuit tombe sur Tripoli. Au dehors, sur le port, à côté des gros navires, des misérables tentent de rejoindre l’Italie sur des embarcations de fortune. Toute l’autorité de la police libyenne ne suffit pas à empêcher cette reptation à travers le désert, du sud au nord, des déshérités chassés par la misère et attirés par les mirages de l’occident. Des peuples entiers souffrent de mal être tandis que le fossé se creuse entre riches et pauvres avec la dégradation des termes de l’échange. L’émigration est une pulsion vitale qui fait préférer le risque au statut quo. Plutôt que d’attendre de voir leurs corps rongés par la misère, les candidats à l’émigration préfèrent risquer leur vie. L’Afrique unie doit faire entendre sa voix pour obtenir plus de justice et plus de progrès. C’est ce message que le guide libyen souhaite délivrer avec l’ardeur d’un prophète .
Les chevaux arabes sont secs et nerveux. Les cavaliers contiennent leurs forces pour les exalter dans de futurs assauts. Dans la profondeur de la nuit du désert, la nature parait s’être assoupie. Et, soudain le galop des chevaux martèle le sol dans une fanfare détonante. Kadhafi redresse la tête et sourit comme s’il trouvait une jouissance dans cette expression de puissance. Un instant, il peut rêver à une Libye déchainant ses capacités et rejoignant le sprint des vainqueurs.


Charles Debbasch