lundi, février 16, 2009

UNIVERSITES:UNE BONNE LOI PERVERTIE PAR UN MAUVAIS DECRET

UNIVERSITES:UNE BONNE LOI PERVERTIE PAR UN MAUVAIS DECRET

La loi no 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi Pécresse), a développé l'autonomie des universités. Elle prévoit principalement que, dans un délai de cinq ans, toutes les universités peuvent demander à accéder à l’autonomie dans les domaines budgétaire et de gestion de leurs ressources humaines et devenir propriétaires de leurs biens immobiliers. L'objectif est sain. Il s'agit de rendre les universités adultes et de leur permettre d'avoir la maîtrise de leur gestion et de leur fonctionnement. Bien entendu, cet objectif ne pourra être atteint que progressivement.

L'esprit bureaucratique s'est déjà infiltré dans l'application de la loi puisque le gouvernement a encouragé le regroupement des Universités pensant que de grands ensembles permettent de meilleures économies de moyens. C'est oublier que la révolte étudiante de 1968 avait conduit à la construction d'établissements de taille humaine et que le gigantisme pourra poser demain de délicats problèmes de gestion et d'ordre public. Décidément, nos bureaucrates ont la mémoire courte ( sur la réforme de 1968 voir Charles Debbasch, L'Université désorientée,PUF 1971).

Mais, c'est sur la question du statut des enseignants chercheurs qu'est intervenu un malencontreux décret qui a mis inutilement le feu aux poudres.

LE STATUT ACTUEL DES PERSONNELS

Le nombre d’heures de cours d’un enseignant-chercheur est jusqu’à présent défini par la loi : 192 heures de travaux dirigés (un cours magistral « valant » 1h30 de TD, le service se situait donc entre 128 et 192 heures). Les activités d’enseignement (les 192 heures en présence des étudiants, auxquelles s’ajoutent préparation des cours, définition des programmes, contrôle des connaissances, surveillance des examens, etc)représentent la moitié du temps de travail total, l’autre moitié étant consacrée à la recherche.
L'appréciation de la qualité de la recherche est remise à des instances nationales. Constituées par disciplines, elles sont en majorité élues.

L'HOSTILITE DE LA HAUTE FONCTION PUBLIQUE AU STATUT DES UNIVERSITAIRES
Il y a dans les couloirs des ministères des fantômes qui rodent : des textes préparés par la bureaucratie et que celle-ci tente d'imposer à un nouveau ministre. Le texte sur le statut des enseignants est de ceux là.
La haute fonction publique n'a jamais accepté le statut libéral des universitaires et elle a toujours cherché à bureaucratiser la condition des professeurs de l'enseignement supérieur en les soumettant aux horaires de droit commun de la fonction publique. Le décret Pécresse sur le statut des enseignants n'est que la reprise de cette classique divagation. Pour la première fois, il les astreint, comme l'ensemble de la fonction publique, à 1.607 heures d'activités : 800 heures liées à l'enseignement, (128 heures de cours, plus la préparation, le tutorat) et 800 autres liées à des activités de recherche « soutenues et reconnues ». C'est la disposition essentielle du décret. La spécificité du statut des universitaires est brutalement remise en cause.
De plus , les instances nationales représentatives des enseignants chargées d'apprécier la qualité de la recherche voient leurs attributions remises en cause. C'est désormais le président de l'Université qui tranchera en dernier ressort et qui pourra décider de doubler le service d'un enseignant s'il estime que la qualité de sa recherche est insuffisante. Disposition saugrenue:verra-t-on un mathématicien décider de la qualité de la recherche d'un juriste ou un philosophe apprécier les travaux d'un sinisant?
L'émotion de la communauté universitaire à l'égard du projet Pécresse est justifiée.

LES VOIES D'UN REGLEMENT
Conscient de la bévue commise, le Président de la République a souhaité que le texte du décret soit remis en chantier. Bien entendu il faut refuser catégoriquement la bureaucratisation du statut des universitaires. Mais quelques pistes d'évolution doivent rester ouvertes.
Au lieu de diminuer le poids des instances nationales élues qui apprécient la qualité de la recherche des enseignants,il faut les renforcer. L'idée d'une évaluation périodique ne peut être remise en cause.
Il manque à notre système, une évaluation de la qualité des enseignements dispensés. Celle-ci ne peut être effectuée qu'au niveau des Universités. Il faut que les responsables des Universités disposent des moyens d'incitation suffisants pour pouvoir récompenser les meilleurs;
Progressivement, il faudra que les universités disposent de chaires locales dont elles fixeront les règles de recrutement et les conditions de travail. Laissons aux universités le temps de mûrir leur autonomie et progressivement le nombre de chaires locales se développera.
L'Université française qui avec des moyens très limités exerce une fonction essentielle dans la société ne doit pas être bureaucratisée Elle doit être émancipée.
Charles Debbasch
Président honoraire de l'Université de Droit , d' Economie et des Sciences d'Aix-Marseille
Président honoraire de la Conférence Nationale des Doyens des Facultés de Droit
Ancien Président du comité Consultatif des universités et du Conseil supérieur des Corps Universitaires (Droit Public )