samedi, septembre 19, 2009

LA FRANCE A LA RECHERCHE DU BONHEUR

REFLEXIONS SUR UNE FRANCE A LA RECHERCHE DU BONHEUR
EN MARGE DES REFLEXIONS SUR LE RAPPORT STIGLITZ JE PUBLIE ICI QUELQUES EXTRAITS DE MON OUVRAGE MEMOIRES DU DOYEN D’AIX-EN-PROVENCE PARU EN 1996 (EDITIONS DU JAGUAR-ASSAS LIBRAIRIE 440 PAGES).
LA REDÉCOUVERTE DU BONHEUR
La France retient son souffle et attend la croissance. Passive, elle espère que le vent favorable se lèvera demain. Fataliste, elle pense que tout cela ne dépend pas d'elle mais des autres. Ce nouveau courant favorable est considéré comme la solution miracle à tous les problèmes. Nous attendons surtout de lui la reprise de l'emploi et le progrès du niveau de vie. Cette attitude passive est pourtant dangereuse. Un bon marin n'abandonne pas son embarcation au gré des vents, il les utilise pour la conduire. Nous sommes tentés, par ailleurs, d'oublier que le grand mal dont nous souffrons est de nature psychologique. Il ne se guérira pas avec une machine à laver ou une automobile de plus. Nous devons reprendre conscience que nous vivons dans une des plus heureuses nations du monde et qu'il dépend de nous de la maintenir à ce niveau et de la développer. L'économie est certes essentielle mais elle est seconde. C'est dans la mesure où nous reprendrons conscience de notre unité et de notre solidarité que nous retrouverons les chemins du bonheur. Notre système social en devenant trop compliqué nous a fait oublier que le bonheur se défie des équations et des théories complexes. Il suppose le respect d'un certain nombre de valeurs sociales. Le retour aux choses simples s'imposera dans les années à venir comme une évidence. Saisissons-la avant les autres.
Le dialogue
Les Français souffrent de leur isolement. Le dialogue avec les autres leur manque. L'être humain s'enrichit par ses contacts. Les Français qui courent découvrir le monde, peuvent-ils continuer à ignorer leurs concitoyens ?
La rupture du dialogue est la conséquence de l'urbanisation. Dans les villages et les campagnes d'autrefois, les Français se connaissaient et dialoguaient. En une trentaine d'années, ils sont plus de trente millions à avoir quitté les campagnes pour les villes. Les anciennes relations se sont distendues ou ont disparu. Les nouvelles ne se sont pas encore forgées. La télévision, l'automobile et les supermarchés ont accentué cet effet de distanciation. Nous pouvons dorénavant vivre sans contacts avec nos voisins. Les seules relations se situent dans le cadre des entreprises et là encore le dialogue a été trop souvent confisqué par les relations collectives et syndicales.
Certains pensent ce mouvement irréversible. Je suis convaincu qu'ils se trompent 11 suffirait pour les en convaincre de considérer le succès des communications électroniques du Minitel hier ou d'Internet aujourd’hui pour apprécier l'étendue du manque dont souffrent les Français. Rien ne remplace les relations individuelles et le dialogue social, s'il est nécessaire, ne remplit pas le vide de l'absence des relations directes.
Tout ceci peut paraître secondaire. Ce n'est pas du tout certain. En ces temps d'anniversaire de la Libération, les images me rappellent ce qu'elle fut dans mon enfance : non seulement une émotion collective mais aussi une occasion pour les Français de se parler, d'échanger leurs idées. Plus près de nous, mai 1968 fut une fête de la communication.
Dans la rue, dans les immeubles, dans les entreprises, les Français échangeaient leurs idées et débattaient. Faut-il attendre une nouvelle explosion, une nouvelle fièvre pour renouer les fils de la communication ?
N'est-il pas utopique de penser restaurer le dialogue autrement qu'autour des accidents de la circulation ou des incidents de la vie sociale ?
Je sais que l'on ne rétablit pas le dialogue par décret et que ni Lang ni Toubon ne pourront, par la loi, obliger les Français à se parler. Mais, je sais aussi qu'il suffirait de peu de chose pour que le dialogue se rétablisse. Imaginons déjà que nous échangions un sourire et un salut avec toutes les personnes qui se situent dans notre environnement, que nous amorcions, chaque fois que nous le pouvons, un dialogue et imaginons combien la vie sociale en serait transformée. Supposons encore que nous répondions avec gentillesse aux personnes qui nous demandent un renseignement, qu'au lieu d'échanger des quolibets nous partagions un sourire lorsqu'un incident bénin surgit dans la circulation automobile, que nous considérions l'autre, quel qu'il soit, comme un ami et non comme un ennemi, comme un allié et non comme un gêneur, la vie sociale en serait toute entière bouleversée. Il nous faudra vaincre un peu de timidité, beaucoup d'égoïsme mais en définitive nous retrouverons ce qui nous fait tant défaut, la conscience que nous ne partageons pas avec les autres une simple nationalité mais ce vouloir vivre collectif sans lequel une Nation n'est qu'un fétu de paille vulnérable et fragile.

L'altruisme
Le dialogue n'est pas une fin en soi. Si nous nous obstinons à voir dans chaque être humain un concurrent voire un gêneur, nous n'aurons aucun plaisir à dialoguer. Si, en revanche, nous voyons dans les autres citoyens les partenaires d'une même équipée alors nous percevrons combien le contact est positif et combien nous y recevons au moins autant que ce que nous y apportons.
Les deux utopies du vingtième siècle ont abouti à ruiner l'altruisme et à encourager des conduites destructrices des rapports sociaux.
Le collectivisme a développé la conception d'un État assureur tous risques des aléas de la vie collective. Il a développé chez les citoyens une mentalité d'assistés qui exigent tout de la collectivité et qui se rebellent devant toutes les obligations sociales.
L'individualisme, assimilé par abus de langage au libéralisme, a encouragé le règne du chacun pour soi, le déferlement des égoïsmes, le culte des forts, l'abandon des faibles.
Entre les individus s'est glissé un tiers, l'État impersonnel froid et distant. Il a accaparé toutes les relations sociales, s'est mis dans l'idée de régir par la règle de droit tous les rapports sociaux. Ainsi, s'est développée l'idée que l'autre étant protégé par l'État n'a pas besoin d'une autre assistance. Cette erreur collective a accentué la tendance à l'égoïsme qui existe dans chacun d'entre nous. Nous n'avons pas échappé à ce travers et nous en souffrons.
Nul être humain ne peut s'accomplir par lui-même. Il recherche toujours confusément à se mettre au service des autres : ses enfants, sa famille, son groupe social, ses concitoyens. Pour l'avoir oublié, notre société laisse les individus enfermés dans leur égoïsme.
Les Français commencent à sentir ce besoin de se mettre au service des autres. Toutes les grandes causes les mobilisent. S'ils sont réticents à payer de nouveaux impôts, on fait, en revanche, toujours avec succès appel à eux pour secourir les détresses des maladies, de la misère, des conflits. Certains escrocs médiatiques de la charité l'ont hélas, trop vite compris. Ne laissons pas aux spécialistes le monopole de l'altruisme. Les misères sont à notre porte. N'attendons pas que les autres soient dans la détresse pour nous porter à leur secours et surtout n'oublions pas qu'il n'est pas de misères que matérielles : aider quelqu'un à trouver un emploi, un autre à découvrir sa voie scolaire ou universitaire, tel autre à se sortir d'un mauvais cap sentimental ou d'une autre détresse affective, voilà des missions qui nous attendent chaque jour et qui nous feront redécouvrir que nous nous pensions à tort malheureux et que nous portons en nous des trésors de bonheur dont nous pouvons faire profiter les autres.
L'ouverture à la jeunesse
Une Nation sans jeunesse est condamnée. Une Nation qui n'offre pas à ses jeunes les moyens de s'insérer dans la société, manque à ses devoirs fondamentaux. Ce qui est vrai à l'échelle d'un pays est encore plus essentiel pour chacun d'entre nous. C'est par ses enfants que chacun de nous se projette dans l'avenir, développe sa générosité et se maintient plus longtemps à l'éveil de la société. Pourtant, comme tous les autres peuples nantis, nous avons de moins en moins d'enfants. Pire, notre société ne leur garantit pas un réel avenir professionnel et elle paraît avoir peur de leur dynamisme.
Je sais la masse des obstacles, des contraintes, des mauvaises raisons qui prétendent justifier cette attitude.
Le travail des femmes a fait beaucoup plus que la pilule pour la limitation des naissances. Les femmes veulent, comme les hommes, s'accomplir dans leur vie professionnelle et les enfants leur apparaissent trop souvent comme des empêcheurs d'avancer. Les politiques sont bien obligés de tenir compte du poids dans l'électorat des personnes âgées et du fait que tout effort pour changer la formation des jeunes génère des explosions. Tout ceci est dérisoire par rapport à l'enjeu. Il ne s'agit pas de trouver de bonnes raisons d'exclure la jeunesse, mais au contraire de se convaincre des mille et une raisons de s'ouvrir à elle.
Il n'y aura jamais aucun argument rationnel pour nous convaincre de procréer. C'est la loi de l'espèce, la transmission de la vie dans le désintéressement et la générosité. L'oublier, c'est se fermer la plus grande joie de l'existence et faire triompher les forces négatives sur celles qui poussent à la construction. Il fallait sans doute libéraliser la loi répressive sur l'avortement. Mais, c'est une honte pour notre société d'avoir banalisé un acte grave qui doit rester exceptionnel. On ne porte jamais impunément atteinte à la vie. Combien de femmes pleurent dans leurs quarante ans, les avortements de leurs vingt ans. Le choix de la vie est toujours positif. Ne l'oublions jamais.
Mais il ne suffit pas de procréer, nous devons avoir un comportement responsable à l'égard des jeunes. Il n'existe pas d'éducation sans transmission de valeurs, pas d'être adulte si ne lui ont pas été enseignées les contraintes de la vie. La société a prétendu faire ce travail à notre place et nous le lui avons volontiers abandonné. Nous exigeons tout des maîtres de nos enfants. Comme s'ils pouvaient se transformer en autant de parents. Nous nous plaignons de la dégradation de l'école alors qu'elle est en grande partie due à nos démissions. Nous écoutons le discours sur le chômage des jeunes et nous ne faisons rien pour y remédier. Alors qu'il ne s'agit pas que d'une affaire économique. C'est le choix d'une société qui renonce à une de ses responsabilités essentielles, aider tous les jeunes à trouver leur place.
Ne sommes-nous pas conscients que le problème est facile à résoudre dès lors que l'on accepte de surmonter les égoïsmes catégoriels et syndicaux ? Si, demain, chacun
d'entre nous décide de prendre en charge un jeune qui sort de l'école, l'aide à compléter sa formation dans l'entreprise et que cette incitation au travail remplace les aides stériles au chômage, imaginons combien, non seulement, le problème du chômage des jeunes s'en trouverait atténué mais combien aussi nous retrouverions notre crédit auprès des jeunes tout en permettant à notre pays de bénéficier de leur dynamisme.
L'ouverture à la jeunesse devrait être le premier commandement de notre reconquête du bonheur.
Le goût du travail
Qui aurait pu imaginer en 1935 que les Français de 1995 disposeraient de cinq semaines de congés payés ?
Qui peut, aujourd'hui, affirmer avec certitude de combien de jours de vacances les Français disposeront dans trente ou soixante ans ?
C'est dire que tous les propos passéistes qui souhaitent le retour aux contraintes du travail de jadis sont hors de saison. Les Français sont-ils plus heureux pour autant ?
La réponse est loin d'être évidente.
L'augmentation des temps de loisirs crée de nouveaux besoins financiers et donc de nouvelles frustrations. Elle ouvre donc le champ à de nouvelles inégalités : ceux qui partent et ceux qui ne partent pas, ceux qui vont loin et ceux qui bivouaquent à la porte de chez eux, ceux qui peuvent dépenser et ceux qui regardent les autres le faire.
Le développement des temps de loisirs génère d'autres illusions. Ceux qui rêvent à une société sans travail. Ceux qui imaginent que la réduction du temps de travail créera des emplois nouveaux. Ceux qui oublient que la plus grande partie de l'humanité accepte de travailler à des conditions où les Français ne veulent plus le faire. Plus grave, la valeur du travail est méconnue. Quantité d'emplois ne trouvent plus preneurs parce qu'ils ne sont pas considérés comme assez nobles. La qualité même du travail s'en ressent. Nous le constatons chaque jour. Nous rencontrons quantité de gens qui font mal leur travail, qui considèrent leur salaire comme un dû et leur travail comme une obligation secondaire.
Nous avons sans doute quelque excuse à nous comporter ainsi. En une génération, les Français ont quitté en majorité les professions indépendantes pour devenir des salariés. Les mentalités ne se sont pas adaptées et les nouvelles méthodes de commandement et de motivation ne se sont pas encore développées. Si le travail est noble, ceux qui l'accomplissent le sont aussi. Ils ne sont pas des produits jetables après usage. Ils ne sont pas davantage des robots que l'on commande sans discernement. Le libéralisme échevelé est un non-sens. Le libéralisme trouve son fondement dans le respect de l'être humain. Il ne peut être la résurgence de la société sauvage.
Or, le discours économique dominant est formé d'un singulier mélange entre les thèmes du marxisme et une sorte d'hédonisme béat. La dévalorisation du travail ruine progressivement l'économie.
Le choix entre le travail et le farniente résulte de motivations diverses où la psychologie et les réactions individuelles prennent une grande part, mais où les réflexes collectifs ne sont pas indifférents.
Chacun d'entre nous effectue consciemment ou non, à chaque moment, une évaluation de ce que lui rapporte un surcroît de travail par rapport à l'effort qu'il lui demande. Tout développement des mécanismes d'assistance sociale accroît la masse des assistés. Toute augmentation du revenu minimum garanti ou des prestations sociales pouvant être obtenues sans travail augmente le nombre de ceux qui auront intérêt à délaisser le travail pour devenir des assistés. Toute augmentation des impôts sur les "hauts revenus", entraîne une réduction de la quantité de travail dans cette catégorie sociale : moins de travail pour gagner moins d'argent, plafonner ses revenus pour limiter la progressivité de l'impôt. Le développement inconsidéré de la protection médicale aboutit également à réduire le travail : tout être humain est un malade qui s'ignore, la maladie peut, dans certains cas, devenir une alternative au travail. En détruisant la valeur sociale du travail, on introduit un virus dangereux dans notre économie. La mise au pilori du travail porte le germe de l'autarcie, du nationalisme économique.
L'augmentation incontrôlée du coût de l'heure de travail serait à la rigueur possible si nous vivions dans une économie fermée. Elle entraînerait d'ailleurs, même dans ce cas, à bref terme, une régression de notre niveau de vie. Dans la société économique internationale ouverte d'aujourd'hui, nos productions sont concurrencées par celles d'États qui exaltent les vertus du travail et de la discipline dans les entreprises. Un pays comme le nôtre condamne son économie au déclin en augmentant la charge financière du travail. La tentation est alors forte pour les gouvernants, afin de différer la mise en évidence de leurs échecs, de fermer les frontières et de défendre le nationalisme économique. Le slogan "consommez français" signifie tout simplement que par une politique de Gribouille, nous cherchons à continuer à pratiquer la démagogie dans les entreprises sans en payer la not.
En matière de travail, le choix pour la France est simple. Il est entre un nationalisme d'assistance et de régression et un internationalisme de compétition et de progrès.
Notre société n'a de chances de retrouver la croissance que par une revalorisation du travail, du sens de l'effort et de la compétitivité.
Cette politique doit porter en premier sur l'éducation, c'est là que doit se faire l'apprentissage de l'excellence et de la compétition. Les socialistes ont confondu démocratisation et nivellement par le bas. Il faut à notre pays une génération de gagneurs capables de le tirer vers le haut et non une niasse de spectateurs geignant devant leur propre inaptitude. Il nous faut également redécouvrir la fonction sociale du travail à tous les échelons. Il est l'un des moteurs essentiels du progrès. Les socialistes ont bercé les Français d'illusions en les invitant à se comporter comme des cigales. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Après avoir réduit le temps de travail et généralisé la cinquième semaine de vacances, le gouvernement avait dû ponctionner les revenus et contingenter les devises. Ceux qui ont invité les Français à se comporter en cigales les ont trompés. Il faut que nous retrouvions le goût du travail bien fait à tous les échelons, que nous redécouvrions qu'il nous apporte une de nos plus grandes satisfactions : savoir que nous occupons bien notre rôle dans la société et que nous sommes capables de nous élever et de mieux nous valoriser nous-mêmes par notre travail. Peut-être, alors, redeviendrons-nous capables de siffler en travaillant.
Le respect de la collectivité
Nous avons la chance d'appartenir à une communauté, à une Nation paisible, ordonnée et dans l'ensemble bien gouvernée.
En avons-nous conscience ?
Je n'en suis pas certain car on ne nous l'a peut-être jamais appris. L'éducation et les vertus civiques paraissent démodées et on n'ose même plus nous en parler.
Il y a, je sais, tout ce qui ne va pas dans notre société et qui peut servir d'alibi facile à tous les errements. Un peu comme le délinquant qui trouve une excuse dans ses méfaits parce qu'il a été sevré trop tôt ou l'enfant gâté qui ne voit que ce qui lui manque et ne sait plus apprécier ce qu'il a.
Respecter la collectivité, c'est respecter tout ce qu'elle nous apporte. Le respect des biens publics et des hommes qui les défendent est essentiel. L'écologie n'est pas seulement un discours de meeting. C'est une pratique quotidienne. L’avez-vous remarquée cette femme gâtée au volant d'une voiture de luxe qui, à un feu rouge, jette par la fenêtre toutes les saletés accumulées dans son véhicule ? Les avez-vous vus tous ces hommes qui, dans la rue, courbés en deux, ramassent toutes les déjections de ces Français qui ne pensent qu'à eux ?
Que dites-vous quand un malotru lacère les sièges du métro, détruit une corbeille à papier ou défonce une cabine téléphonique ?
Croyons-nous, vraiment, que la société est une vache à lait à laquelle nous ne devons rien et qui nous doit tout ?
Nous sommes nombreux à nous plaindre du retard de l'équipement scolaire, universitaire, sportif, et nous avons raison. Mais, que faisons-nous en retour pour faire respecter ces équipements construits à grands frais ?
Nous exigeons que l'État respecte nos droits et nous avons raison. Mais, ces droits comportent une contrepartie trop souvent oubliée, les devoirs civiques. Nous devons apprendre à les redécouvrir ensemble faute de quoi notre société deviendra une jungle où l'autorité de l'État sera rem-placée par un nouveau féodalisme, celui des gangs et des autres puissances privées.
Pouvons-nous continuer à nous plaindre du trop grand dynamisme des savants, des romanciers, des architectes, de tous les créateurs étrangers et nous endormir sur nos lauriers fanés ?
Ne pouvons-nous pas nous redonner une ambition créatrice au lieu de nous vautrer dans nos prétendus malheurs ? Je ne crois pas que la maladie de la classe politique soit à l'origine de nos maux. Je crois davantage qu'ils ne sont que le décalque de nos renoncements et qu'il ne tient qu'à nous de savoir redonner de l'ambition à toute notre société.
Chacun d'entre nous porte en lui deux forces opposées. L'une le pousse vers la création et ce qui est positif. Une autre, morbide, l'entraîne vers l'enfoncement, la destruction. Les sociétés obéissent à la même règle. Le début des renoncements est délicieux. Chacun fait ce qui lui plaît et profite avec volupté du laxisme ambiant. Puis, vient le temps des doutes. Chacun ressent que le désordre et l'avachissement ne peuvent plus durer et ressent un grand trouble. Nous en sommes là. A nous de décider si nous voulons vivre dans une société qui sombre dans la décadence ou si nous préférons aller de nouveau vers les sommets.
Notre avenir dépendra de la puissance d'initiative, de l'audace créatrice que nous développerons.

Charles Debbasch

LE PNB ET LE BONHEUR

LE PRODUIT NATIONAL BRUT NE FAIT PAS LE BONHEUR
Trois grands économistes Joe Stiglitz, prix Nobel d’économie. Amartya Sen, autre prix Nobel, et Jean-Paul Fitoussi, économiste renommé viennent nous rappeler une évidence : l’argent ou plus exactement le PNB ne fait pas le bonheur. Un Etat peut avoir un haut taux de croissance et une régression sociale car ce qui est fondamental c’est la juste répartition des fruits de la croissance.
Comme l’exprime justement Jean-Paul Fitoussi (in Libération) : « On peut avoir des taux de croissance très élevés en même temps qu'une détérioration importante de la situation de la part la plus pauvre de la population. Et quand je dis cela, je parle de 60 % de la population. Par exemple : de 2000 à 2008, le PIB américain par tête a augmenté en moyenne de 9 %. Or une enquête dont les résultats ont été livrés la semaine dernière aux Etats-Unis a montré que pendant la même période, 50 % de la population a vu son revenu baisser de 4 %. C'est typiquement une croissance qui s'accompagne d'une régression sociale. »C’est bien la preuve que des indicateurs marchands globaux donnent une vue déformée de la réalité.
Il faut dés lors intégrer des données qualitatives pour apprécier la situation d’un pays. Il ne suffit pas de compter le nombre d’écoles ou d’hôpitaux mais la qualité de la satisfaction qu’ils apportent aux usagers.De même la notion d’un revenu moyen par habitant a moins de sens que l’appréciation de l’état des inégalités et la façon dont elles sont ressenties.
Le rapport Stiglitz propose aussi d’intégrer à l’appréciation de la situation d’une société une série d’éléments qualitatifs comme bien sûr les revenus, et la richesse mais aussi le niveau d'éducation, le niveau de santé ou encore le degré de confiance qu'ont les habitants dans leur système judiciaire. Jean Paul Fitoussi fait ici une remarque fondamentale sur la justice ! « La conséquence d'une défiance généralisée dans la population, c'est évidemment la multiplication du nombre de procès, de recours aux tribunaux. Ce seul fait va accroître le PIB, car il va y avoir davantage d'avocats, de juges, etc. Mais cette augmentation de la défiance signale une réduction du bien-être. »
Le rapport propose également d’intégrer dans toute appréciation globale la mesure de ce qu’une société lègue aux générations futures. A quoi servirait une augmentation du PNB qui livrerait aux prochaines générations des terres dévastées ou un climat dégradé ?
On l’aura compris : la difficulté de la nouvelle approche est que le qualitatif se laisse moins enfermer dans des critères objectifs que le quantitatif. Il oblige à faire passer les maths après la philosophie. Ceci n’est pas critiquable. A la condition de ne pas oublier que si les progrès du PNB peuvent apparaitre secondaires dans des sociétés postindustrielles riches, ils sont essentiels dans des sociétés sous-développées qui manquent de presque tout. Car , si l’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue quand même quelque peu.

Charles Debbasch