dimanche, janvier 25, 2009

REFORMER LA JUSTICE PENALE

REFORMER LA PROCEDURE PENALE

Le Président Sarkozy a annoncé une profonde réforme de la procédure pénale et il a alimenté le débat en proposant la suppression du juge d’instruction . . Dans un discours prononcé à l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le président de la République a déclaré que le juge d'instruction en la forme actuelle "ne peut être l'arbitre" des enquêtes judiciaires. "Il est temps que le juge d'instruction cède la place à un juge de l'instruction, qui contrôlera le déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus." Et il a ajouté que "la confusion entre les pouvoirs d'enquêtes et les pouvoirs juridictionnels des juges d'instruction n'est plus acceptable. Un juge en charge de l'enquête ne peut raisonnablement veiller en même temps à la garantie des droits de la personne mise en examen.".Ces propos ont soulevé une vive contestation. Pourtant si le débat sur les modalités d’une réforme est légitime, il est incontestable que la situation actuelle n’assure guère la défense des libertés et ne garantit pas une procédure équitable .Il est donc important d’effectuer avant de réformer le bilan de la maladie de la justice pénale.

L’ABSENCE DE VOIES EFFICACES DE RECOURS CONTRE LES ACTES DU JUGE D’INSTRUCTION
Le Code de procédure pénale a attribué compétence pour apprécier la régularité des actes de police judiciaire(actes effectués par le juge ou ses délégataires policiers ou gendarmes) à la Chambre de l’instruction supérieur immédiat du juge d’instruction. La Chambre est composée d’un Président nommé par décret sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature et de deux assesseurs élus par l’Assemblée générale de la Cour d’Appel. Cette composition ne paraît pas de nature à permettre un réel contrôle de la légalité des actes de police judiciaire . On se trouve en quelque sorte dans un système préhistorique d’administration juge qui nous reporte aux origines du droit administratif. La Chambre de l’instruction, organe représentatif des magistrats, est juge de la légalité des actes de police judiciaire accomplis par un autre magistrat ou sous son contrôle et sa responsabilité par ses délégataires. Il est difficile pour des magistrats élus par leurs pairs de les contrôler en toute indépendance . La composition corporative des chambres de l’instruction n’offre pas de garanties définitives d’un examen effectif de la légalité des actes de police judiciaire. De fait, les chambres de l’instruction sont, la plupart du temps , des organes de validation- dans une proportion qui se rapproche des 90%-des actes attaqués devant elles dans des conditions qui ne paraissent pas satisfaire aux dispositions de la convention européenne des droits de l’homme et au droit au juge qu’elle proclame. Cette situation est d’autant moins admissible que la Chambre d’accusation est le passage obligé avant toute plainte relative aux crimes et délits commis dans l’exercice de la police judiciaire

UN RECOURS PREALABLE DANGEREUX
La loi du 8 février 1995-ressucitant une ancienne règle- a modifié l’article 6-1 du CODE de PROCEDURE PENALE est venue limiter le droit de former une action en justice droit fondamental constitutionnel qui appartient à tout citoyen .« Lorsqu’un crime ou un délit prétendument commis à l’occasion d’une poursuite judiciaire impliquerait la violation d’une disposition de procédure pénale, l ‘action publique ne peut être exercée que si le caractère illégal de la poursuite ou de l’acte accompli à cette occasion a été constatée par une décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie. Le délai de prescription de l’action publique court à compter de cette décision » En d’autres termes, si un particulier est victime d’un crime ou d’un délit à l’occasion d’une poursuite judiciaire par exemple un OPJ qui commet un faux ou une interpellation illégale, il ne pourra déposer une plainte que si la Chambre de l’instruction a annulé l’acte frappé de faux. Cette disposition étonnante vise à protéger les personnels investis d’une mission de police judiciaire contre des mises en cause fantaisistes qui entraveraient leur action Mais ,comme souvent en ce domaine ,on est passé d’un extrême à l’autre en subordonnant à une sorte d’autorisation de la chambre d’accusation le droit de porter plainte dans des conditions qui ne paraissent pas conformes aux fondements de notre droit. En effet le droit d’agir en justice ne peut être limité que de façon exceptionnelle et explicite. A plus forte raison cette règle est-elle applicable en matière pénale où il s’agit de protéger les droits et libertés fondamentales des citoyens Cette limitation d’agir en justice sans l’autorisation de la Chambre de l’instruction parait en contradiction avec les dispositions du droit européen et le droit à un procès équitable. La Cour de Cassation a statué cependant en sens inverse dans des termes qui ne n’emportent pas la conviction. Elle a en effet estimé que dés lors que la personne concernée dispose d’un recours judiciaire préalable en annulation des actes argués d’illégalité les dispositions de l’article 1-6 ne sont pas incompatibles avec celles des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (Crim. 28 janv. 1997 Rev.Sc.Crim. 1997.664 obs.Dintilhac)Ce raisonnement suppose que le recours devant la Chambre de l’instruction garantisse un examen effectif de la légalité ce qui n’est pas garanti. Cela suppose également que le contrôle de la légalité soit exercé de façon aussi étendue que le contrôle de l’excès de pouvoir par le juge administratif ce qui est loin d’être le cas.

LA QUASI ABSENCE DE CONTROLE DES ACTES DU JUGE D’INSTRUCTION Le contrôle de la légalité des actes du juge d’instruction est assez sommaire et il n’est pas aussi approfondi que celui qu’exerce le juge administratif. Le juge judiciaire a moins l’habitude du contrôle de légalité et s’il sanctionne les violations les plus importantes , il laisse des pans entiers de l’activité de la police judiciaire hors de toute légalité.
L ‘objet de la compétence du juge et des OPJ n’est guère délimité. Théoriquement, dans le cadre d’une instruction c’est la plainte et le réquisitoire introductifs qui fondent la saisine et toute investigation hors saisine est nulle. Il convient de requérir un réquisitoire supplétif avant d'instruire en dehors de la saisine initiale. Aux termes de l’article 80, alinéa 1er, du code de procédure pénale. « Lorsque des faits, non visés au réquisitoire, sont portés à la connaissance du juge d'instruction, celui-ci doit immédiatement communiquer au procureur de la République les plaintes ou les procès-verbaux qui les constatent. Le procureur de la République peut alors soit requérir du juge d'instruction, par réquisitoire supplétif, qu'il informe sur ces nouveaux faits, soit requérir l'ouverture d'une information distincte, soit saisir la juridiction de jugement… ». La compétence du juge et des OPJ est ainsi strictement délimitéeCes limites s’expliquent par le principe fondamental de séparation des fonctions de poursuite et d’instruction, lequel se déduit du principe plus général d’impartialité du juge, dont l’expression la plus récente se trouve dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (art. 6, § 6, de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales ; art. 14, § 1, du Pacte international sur les droits civils et politiques), comportent, des conséquences précises dans le cas où un juge d’instruction aurait procédé ou fait procéder à des investigations sur des faits échappant à sa saisine. Dans deux arrêts, la Cour de cassation, après avoir énoncé que “les pouvoirs accordés au juge d’instruction par l’article 81, premier alinéa, du code de procédure pénale et qui lui permettent de procéder, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité, sont limités aux seuls faits dont il est régulièrement saisi en application des articles 80 et 86 de ce code”, ajoute que “lorsque ce magistrat acquiert la connaissance de faits nouveaux, si l’article 80 ne lui interdit pas, avant toute communication au procureur de la République, d’en consigner la substance dans un procès-verbal et le cas échéant, d’effectuer d’urgence des vérifications sommaires pour en apprécier la vraisemblance, Il ne peut, sans excéder ses pouvoirs, procéder à des actes qui, présentant un caractère coercitif, exigent la mise en mouvement préalable de l’action publique” (Crim. 6 févr. 1996, B. n° 60 p. 165, D.S. 1996, 198, note J. PRADEL, JCP 1996, II, 22.694, note P. CHAMBON, Droit pénal 1996, n° 74, note A. MARON ; 30 mai 1996, B., n° 226, p. 652 - le passage cité figure aux pp. 695 et 696, Droit pénal 1996, n° 174, note A. MARON). Le second de ces arrêts casse l’arrêt d’une chambre d’accusation qui avait refusé d’annuler des investigations faites par un juge d’instruction en dehors de sa saisine, au motif “qu’en prononçant de la sorte, alors qu’elle constatait que le juge d’instruction avait procédé, concernant des faits dont il n’était pas saisi, à des actes d’instruction entraînant des vérifications approfondies et présentant un caractère coercitif, la chambre d’accusation a méconnu le principe ci-dessus”. Mais, en fait, ces deux arrêts ne reflètent guère la réalité de la majeure partie des instructions. Celles-ci se situent fréquemment hors saisine et le réquisitoire supplétif ne fait que couvrir des recherches approfondies antérieures qui seront parfois reprises pour donner une coloration légale à ce qui s’est fait. Ce n’est que dans des hypothèses exceptionnelles que la Cour de Cassation sanctionne le hors saisine alors qu’il s’agit pourtant de la violation d’un principe fondamental : le cadre de la compétence matérielle d’une personne investie d’une fonction publique. Là encore le juge judiciaire est en retard sur le contrôle exercé par le juge administratif.

Plus généralement le contrôle du juge judiciaire reste le plus souvent à l’état embryonnaire . Il suffira à un juge d’instruction d’invoquer les exigences de l’ordre public pour couvrir son action même lorsqu’elle conduit à limiter les libertés et la Chambre de l’instruction se contentera de cette référence incantatoire alors que le juge administratif examine si les exigences de l’ordre public sont réelles et s’il existe une stricte proportionnalité entre les exigences de l’ordre public et la restriction de la liberté. ----------------------------------------- Ainsi, il apparaît que, avant même de réformer le droit de la procédure pénale, il conviendrait de rappeler les règles essentielles qui fondent les compétences des agents de l’Etat et le contrôle qui doit peser sur leur activité. Le juge administratif a réussi à assujettir l’administration au respect du droit. Il revient au juge judiciaire de discipliner l’usage par ses membres ou leurs délégataires des importantes prérogatives qui leur sont données pour que leur usage redevienne conforme aux principes essentiels de l’Etat de droit.

Charles Debbasch