vendredi, janvier 13, 2012

EXISTE-T-IL UNE FRANCOPHOBIE FRANCAISE?


EXISTE-T-IL UNE FRANCOPHOBIE FRANÇAISE ?
Les Français seraient-ils devenus francophobes ?
Ils ont pourtant des services publics performants, des équipements de qualité, des écoles toujours plus modernes, une durée de vie sans cesse prolongée grâce au progrès médical, un bien-être menacé mais réel, une protection sociale quasi miraculeuse malgré la crise .ils présentent pourtant des mines renfrognées, des visages fermés comme hermétiques au bonheur. Dans cette France-là, les journaux n'ont plus de rubriques pour faire rire. Ils égrènent les catastrophes comme d'interminables chapelets. Quand il n'existe pas assez de malheurs montrables chez nous, ils vont les chercher à l'étranger.
L'image qui se dégage de l'addition de tous ces malheurs exhibés est celle d'une France assiégée par toutes les calamités et où les malheurs présents ne sont qu'insignifiants à côté de ceux qui s'annoncent.
Les Français se croient malheureux et ils écrivent, chaque jour, une nouvelle page de la chronique de leur terrible condition. Ils ne croient plus leurs prêtres. Ils méprisent leurs hommes politiques. Ils abandonnent parfois même leurs parents dans des hospices la veille des week-ends et leurs chiens sur le bord des autoroutes quand résonne le grand appel du mois d'août. Ils n'ont plus guère le temps de s'occuper de leurs enfants. Ils ne connaissent plus leurs voisins. Ils se barricadent chez eux le soir venu. Ils n'ont jamais autant possédé dans leur histoire et ils croient manquer de tout. En un mot, ils se croient malheureux.
Cet état me paraît être le résultat d'une psychose collec­tive qu'il faut traiter d'urgence.
Les Français me paraissent victimes d'une grande intoxi­cation.
Les peurs se nourrissent de chiffres. Notre époque a vu triompher les chiffres sur les lettres. Il n'est de savant que de


mathématique. Il n'est de compréhension de la société que statistique. Le quantitatif l'a emporté sur le qualitatif. Avec toutes ses conséquences négatives. Le nombre l'emporte sur l'individu. L'erreur d'une prétendue majorité devient la loi commune. Sondage fait loi. Nombre de peurs résultent de cette approche. Il y aurait dans notre société un coefficient mathématique qui ne pourrait que pousser au pessimisme.
Les Français seraient trop peu nombreux dans un monde trop peuplé.
La langue française subirait l'assaut irrémédiable de langues barbares parlées par trop de personnes.
Les entreprises françaises ne seraient pas d'une taille suf­fisante face à leurs rivales. Il y aurait trop de charges sociales, trop d'impôts, trop de fonctionnaires, trop de per­sonnes seules, trop de vieux, trop de délinquants, trop d'é­trangers. Mais aussi trop de tomates, de poussins, de blé.
Et, en bonne logique mathématique, les moins sont aussi présents à l'appel. On ne trouve pas assez d'emplois, pas assez d'écoles et de Facultés, pas assez de places dans les crèches, pas assez de revenus pour faire face aux exigences sociales, pas assez d'infirmières, pas assez de contrôleurs du ciel, pas assez de policiers et de gendarmes, pas assez de clients chez les marchands, pas assez d'hommes politiques populaires.
Arrêtons là la liste ridicule de ces plus et de ces moins et chassons ces chiffres partiaux, partiels, inexacts.
Ils prétendent tout expliquer et ils ne permettent rien de comprendre. Ils n'annoncent les crises que lorsqu'elles se produisent et les embellies lorsqu'elles sont déjà évidentes. Les chiffres sont l'image d'une société passive qui subit son destin au lieu de le commander, qui observe au lieu d'agir. Le compte est mauvais. Il génère les peurs d'aujourd'hui. Ces peurs toujours plus nombreuses rendent les Français malheu­reux.


La peur de l'insécurité
L'insécurité figure parmi les premières de nos préoccu­pations.
La peur commence dans les ascenseurs des parkings, des commerces, des immeubles. Venant de ma ville de province et entrant pour la première fois dans un ascenseur parisien, je saluai timidement les personnes présentes, aucune voix ne me répondit. Dans un premier temps, je mis ce comporte­ment sur le compte de l'impolitesse ou de la goujaterie. Puis, en voyant la porte s'ouvrir à destination, et les occupants se ruer vers la sortie, je compris la raison de leur comportement. Ce court voyage en commun les effrayait. Ils avaient peur de leurs voisins d'ascension et préféraient réduire à un strict minimum la communication avec eux.
Nous avons tous le souvenir de nos peurs d'enfants. Elles sont souvent liées à la difficile découverte du monde des adultes et aux frayeurs que nous communique notre entourage. Les peurs sociales modernes nous infantilisent. Elles nous ramènent dans un monde simpliste où les méchants sont légion et se liguent pour nous abattre.
Il est vrai que la vie quotidienne est empoisonnée par la petite délinquance. Que celui qui n'a pas été cambriolé, dont la voiture ou la moto n'ont pas été volées lève la main. Cette insécurité est réelle, pesante. Elle enlève beaucoup du plaisir quotidien de vivre. Elle repose en grande partie sur une com­plicité passive du corps social, qui tolère l'inacceptable en se contentant de s'en remettre à des forces de police par ailleurs critiquées et raillées à tort et à travers. Mais, cette insécurité de proximité ne doit pas faire oublier tout le reste. La France reste un pays paisible où la liberté d'aller et de venir en toute quiétude est assurée, où les truands sont poursuivis et jugés de façon implacable. Il n'empêche. La grande psychose de la peur s'est emparée de tous. Les Français se méfient les uns


des autres. S'ils tentent de demander leur chemin dans la rue, le passant pressera son pas en feignant de les ignorer. Il les craint. Il pressent dans leur demande un je ne sais quoi d'inavouable.
La France moderne se clôture, s'enferme, se blinde, se forge des remparts de ses alarmes. Rares sont les veillées ou les repas qui ne comprennent pas leur couplet sur la délinquance. Le loup-garou est parmi nous.
Si les citoyens ont raison de se plaindre de la délinquance, ils oublient que notre société leur apporte un degré de sécurité qui n'avait jamais été atteint dans notre histoire. La statistique de la délinquance renforce la psychose de l'insécurité. Voici que l'on a décidé de compter les crimes, les délits et les contraventions. Et que l'on mélange les torchons et les serviettes. Une contravention de stationnement plus un excès de vitesse plus un chèque en bois plus une tentative d'homicide plus une escroquerie à l'assurance, cela donne un résultat aussi probant que d'affirmer que si on mange du caviar à midi, si on fait une promenade en voiture l' après-midi et si on lit du Gide le soir les crevettes vaudront moins cher l'été prochain. Cette addition, tous sévices compris, donne à tout un chacun l'impression d'une marée montante de la délinquance qui accentue le phénomène et libère la peur. Mettre toutes les délinquances dans le même panier autorise toutes les exagérations, toutes les extrapolations, toutes les erreurs de jugement aussi. La délinquance n'est pas une. Elle est diverse. Elle regroupe l'ensemble des conduites condamnées par le groupe social à un moment donné. Mais celles-ci ne font pas toutes l'objet de la même réprobation. Dans une société qui s'inquiète de la délinquance contre les biens, la constatation des infractions aux règles de la circulation routière et son insertion dans une statistique générale de la délinquance n'a pour seul résultat que d'accroître la frayeur qui résulte de l'accroissement de la délinquance alors


qu'elle n'a pas grand-chose à voir avec le problème de la sécurité publique.
La peur est le support d'une florissante industrie de la sécurité. Les architectes et entrepreneurs sont frappés de constater que souvent, avant même de connaître le plan de leurs maisons, leurs clients se préoccupent de la dimension de leurs clôtures. Selon les standings, les murs sont plus hauts, les barbelés plus serrés. Il faut se défendre contre les intrusions. Et comme ces remparts sont insuffisants, les caméras et les alarmes viennent compléter la panoplie. Dans tous les quartiers retentissent périodiquement ces sirènes dont plus personne ne se soucie tant leur déclenchement opportun ou intempestif est devenu habituel à nos oreilles. A force de crier en permanence au loup, les fauves peuvent désormais attaquer en toute impunité. Comme tout cela est inefficace et dérisoire, les Français modernes s'arment de plus en plus. Nombre de ces armes se trouvent en vente libre dans les hypermarchés ou les catalogues de vente par correspondance. L'auto-défense est soutenue par des ligues de plus en plus nombreuses et puissantes. Il ne fait pas bon les attaquer lorsque l'on cherche à être élu. La revendication principale est celle de l'accroissement des forces de police et de gendarmerie sur laquelle s'accordent candidats de droite, de gauche et du centre. Le ministre de l'Intérieur reçoit tous les jours des demandes de ce type. Comme il ne peut toutes les satisfaire, se développent les polices municipales, les gardes privées. Dans ce grand foisonnement d'uniformes, il est devenu si difficile de reconnaître les siens que même les truands ont trouvé la parade et commencent à investir dans la prise de contrôle des sociétés de surveillance.
La peur de l'insécurité renforce l'insécurité. Quand il arrive que toutes ces forces se mélangent, s'affrontent ou se lancent dans une telle concurrence que leurs efforts au lieu de s’additionner s’annulent.Les policiers se méfient des gen-


darmes qui honnissent les policiers municipaux qui considèrent les gardiens privés comme des usurpateurs.
La peur de l'insécurité génère des comportements qui accroissent cette insécurité. L'homme qui a peur ne porte plus secours. Il ne se dérange plus quand la délinquance frappe à la porte de son voisin ou le passant dans la rue. Il n'informe plus les policiers ou les gendarmes qui deviennent d'autant plus aveugles ou sourds qu'ils ne quittent plus guère les sièges de leurs voitures. Les citoyens pensent que, puisqu'ils assurent par leurs impôts le financement de la sécurité publique, ils ont rempli leur dette sociale et peuvent rester passifs devant la délinquance.
Or, sans concours social, aucune lutte contre la délinquance n'est possible. Les Français si prompts à s'élever contre la délinquance n'aiment guère les forces de sécurité. Ils demandent, tout à la fois, plus de policiers et plus de gendarmes et ne font rien pour leur venir en aide. Ce com­portement est dans une certaine mesure justifié. La police a une mauvaise image due à des comportements de commandement qui ne correspondent plus à l'état de la société. Il ne suffit plus d'insulter pour se faire obéir ou d'imiter les comportements des truands pour lutter contre la délinquance. Même si la police moderne a une meilleure formation, il reste un vieux passif à liquider. Les Français pensent, à tort et parfois à raison, que les forces de sécurité sont mal employées. Huit gendarmes autour d'un radar, pendant que les voleurs opèrent, donnent l'image de la recherche de la facilité plutôt que celle de l'effort. Deux heures pour déposer une plainte pour un vol banal illustrent le retard de modernisation de la police. Tout ceci est vrai mais ne justifie pas la passivité devant la délinquance.
Rien n'est possible sans la participation de tous. Il ne s'agit pas de délation mais de devoir civique. Tolérer la délinquance qui se déroule sous nos yeux c'est nous enlever le


droit de nous plaindre demain de celle qui nous atteindra. Tolérer certaines formes de délinquance ou y participer, c'est détruire la cohésion sociale qui est nécessaire pour que les autres délinquances soient combattues. Ils sont légion ceux qui volent les matériaux déposés au bord des routes, ceux qui chapardent au supermarché, ceux qui se servent dans les distributeurs automatiques en panne, ceux qui s' approprient quand ils le peuvent le bien d'autrui. Ils sont nombreux ceux qui choisissent le voleur contre le gendarme.
Les Français ont peur de la délinquance. Ils devraient souvent avoir peur d'eux-mêmes. La délinquance se balaye avant tout devant notre porte.
La peur de l'autre
Pendant la Seconde Guerre mondiale, une des émissions les plus écoutées de la France Libre s'intitulait "Les Français parlent aux Français". Le slogan d'aujourd'hui pourrait être rigoureusement inverse : les Français ne savent plus parler aux Français. Ils les côtoient, les affrontent, leurs adressent parfois quelques mots mais, pour l'essentiel, les Français ne savent plus se parler.
Comme ils ne se connaissent plus, ils tentent de se découvrir dans quelque talk-show des chaînes de télévision. Leur voisin de palier s'y révèle fort intéressant alors qu'ils ne lui avaient jamais adressé la parole.
Cette frayeur se communique dans tous les aspects de la
vie sociale. Les Français ont peur de leurs voisins, de leurs
collègues de bureau, de leurs patrons, de leurs gouvernants.
Les Parisiens ont peur des provinciaux. Les Corses craignent
les continentaux. Ceux-ci se méfient des Pieds-Noirs. La
crainte de l'autre est devenue une sorte de maladie nationale.
Les citoyens ont peur de leur État. Ils craignent le fisc, la


justice, mais aussi le maître d'école, le gendarme. Tout représentant de l'autorité est devenu suspect. Chacun craint de ne pas être en règle. La réglementation est devenue si complexe qu'elle n'est plus intelligible et qu'elle ouvre la porte à tous les arbitraires. Les Français si empreints de sentiments égalitaires n'ont de cesse de réclamer des interventions et des passe-droits. Ils leur paraissent le seul moyen d'obtenir ce qui leur est dû. Les élus sont transformés en assistants sociaux de citoyens apeurés par un État qui leur est devenu étranger. Notre pays a développé un corps de fonctionnaires nombreux, assez compétents mais qui ont sécrété des règles dont ils sont les seuls à connaître le mode d'emploi. Les moyens de défense ne manquent pourtant pas. Les recours devant les tribunaux se multiplient mais la justice administrative est noyée sous le flot des procès et elle intervient trop tard et mal. Quand les citoyens se sentent davantage menacés par les structures collectives que protégés pas elles, il y a quelque chose de pourri dans la société. Mais, il entre aussi dans cette peur une grande part d'irrationnel. C'est la passivité des citoyens qui engendre les débordements des agents de l'État. Comment les élus peuvent-ils être assoupis au point de ne pas sentir la colère contre l'État qui gronde ? Comment peuvent-ils rester spectateurs devant la dérive technocratique de la société qui les prive de tout réel moyen de contrôle démocratique ? Cette peur de l'État Autre qui paralyse les électeurs n'est qu'une des facettes de la rétractation des citoyens sur eux-mêmes.
La peur se prolonge dans les rapports personnels. On ne rencontre, aujourd'hui, que des Français qui ont peur de s'engager. Peur de se marier de crainte d'être déçus. Peur d'avoir des enfants devant les difficultés sociales. Peur de choisir un emploi en raison de l'évolution rapide des qualifications. Peur de quitter sa ville ou sa région. Peur de créer et d'entre­prendre.


Chacun se sent incapable de faire des choix qui aillent à l'écart de la stricte survie individuelle et, dans le même temps, s'inquiète de l'esprit d'initiative des autres.
L'autre, c'est le Français dynamique qui crée et entreprend et qui devient de ce fait suspect et jalousé.
La réaction de la France à l'égard de l'étranger est ainsi devenue frileuse et suspicieuse. Notre pays qui s'honorait de son esprit d'initiative et de création n'a plus qu'une seule idée. Empêcher ceux qui entreprennent de le faire. Se fermer et se rétracter devant l'étranger.
La gauche et la droite embouchent les mêmes trompettes pour répondre à cette peur des Français.
Portée par l'esprit de la chasse aux sorcières, la gauche avait découvert l'ennemi à abattre en 1982, c'était le groupe de presse Robert Hersant censé être trop puissant. Le combat mobilisa les plus beaux esprits qui n'avaient pas trop de toutes les ressources de leur intelligence pour décrire les tur­pitudes supposées de ce monstre papivore. Ce combat ne pouvait que faire sourire tous ceux qui savaient que ce groupe n'était qu'un nain face aux géants mondiaux de la communication et qu'il constituait une des seules chances de la France dans la compétition mondiale. Dix ans plus tard, dix ans trop tard, la France découvre qu'elle s'était méprise et que, pour avoir refusé le développement d'un grand groupe de communication, elle est aujourd'hui absente du grand combat mondial de la communication.
La droite commet les mêmes erreurs et développe, en les amplifiant, les mêmes comportements. Un pays fort devrait favoriser ses citoyens les plus entreprenants, les pousser à investir à l'étranger. Mais les gouvernants cèdent aux peurs collectives et érigent des barrières de protection qui s'avére­ront vite inefficaces. La politique qui résulte de ces peurs s' appelle quota.
Quota de chansons françaises, de films français, de voi-


tures françaises. En attendant les quotas de carottes ou de
livres français.
Les défenseurs des quotas sont populaires. Ils apportent
une réponse à la peur de l'étranger. Et ils ne changent rien.
Car la société actuelle est mondiale et la communication s'y
développe sans frontières. H n'y a plus de mur de Berlin.
Le combat pour la langue française s'est déroulé sous le
même signe de frilosité. Au lieu d'exalter l'esprit inventif, de
promouvoir la richesse de notre langue, il a pris le visage
d'une réglementation répressive et tâtillonne de l'usage de la
langue. La peur de l'anglais a prévalu sur la conscience de la
richesse d'une langue et d'une civilisation créatrices.
Comme si le seul remède à la peur des autres se trouvait dans
le repli sur nous-mêmes.
Le résultat de ces protectionnismes est particulièrement
visible dans notre production cinématographique. Notre ci-
néma en dehors de quelques succés-est devenu une structure bureaucratisée par les commissions administratives et les subventions. La protection
favorise les médiocres. Elle aboutit à la création de produits
ésotériques, inexportables. A l'abri de cette coterie malthu-
sienne, le cinéma américain continue son ascension. Enfer-
més dans notre cocon, nous nous privons de la possibilité de
demander les réciprocités, de promouvoir nos productions.
La peur de l'autre est la conseillère du pire.
La peur de la maladie
Jamais la France dans son histoire n'a été si bien portante.
La longévité atteint des niveaux inégalés. Les progrès de la
médecine permettent de rester plus longtemps en meilleure
santé. La qualité des soins et leur couverture sociale n'ont
jamais été aussi perfectionnés. Il n'empêche !
Les Français ne se sont jamais sentis aussi malades.


Notre pays bat tous les records de consommation de tranquillisants pour ne pas parler de tous les autres médicaments. La peur des maladies et singulièrement celle du Sida se développe et ravit la vedette à tous les autres débats. La demande de santé progresse à une vitesse fulgurante au point que l'on peut se demander si les Français sont subitement atteints d'une faiblesse collective. Ce mal national n'est pas dû à un quelconque virus. Il relève bien de la psychologie collective ou, pour employer un langage médical, de la psychose.
La prise en charge collective des risques de maladie est un progrès indiscutable et irréversible de notre société. Elle assure à chacun une protection égale, dans des conditions de confort et d'économie indiscutables. Mais, à l'abri de cette protection, se sont développés des comportements qui expliquent la peur actuelle.
La première déviation consiste à gommer toute responsabilité individuelle. La santé est un bien fragile. Elle n'est pas également partagée. Chaque individu dispose dans ce domaine d'un capital qu'il lui appartient de développer, de protéger, d'entretenir. La santé est largement dépendante de nos choix de vie. En protégeant à l'excès l'individu, on lui a enlevé le sens de sa propre responsabilité. On lui a fait croire que l'État peut assurer la santé à sa place. Le malade est d'autant plus surpris lorsque la maladie l'atteint. Il est tenté de la mettre sur le compte d'une défaillance des mécanismes collectifs et de demander davantage à la société. Or, on ne peut oublier la responsabilité de l'individu dans le désordre de la santé. Il ne s'agit pas là d'un problème d'argent. Certains songeraient, il est vrai, à faire payer à chacun le coût social des maladies au surgissement desquelles il a contribué. On imagine la difficulté qu'auraient ces tribunaux de la santé à faire le partage du hasard, de la nécessité et de l'acquis. Mais, hors de toute considération financière, il faut que chacun considère que la maladie n'est pas toujours une fatalité. La maladie n'est pas nécessairement autre. Elle est aussi une flamme que l'on couve. Pour l'avoir trop oublié, les Français finissent par se faire peur à eux-mêmes. Ils s'effraient du désordre qu'ils ont initié.
Le scientisme triomphant des années soixante est également une des causes des peurs modernes. La France croyait en avoir fini avec les maladies, les microbes et les virus. Voici que, brutalement, elle redécouvre que ce combat-là durera autant que le monde, qu'il est à l'image de la guerre permanente que se livrent les hommes depuis la création. Là aussi la der des ders n'existe pas.
Tous ces comportements se rencontrent dans la grande peur du sida. Tous les espoirs reposent sur la recherche. Il est fait reproche à


l'État de ne pas faire assez, de le faire trop tard, de le faire mal. Et, chacun d'oublier la grande et terrible évidence moderne. Hélas, pour l'heure, le seul traitement radical contre le sida consiste à s’en protéger . S'il faut déployer des efforts démesurés pour assister et soigner les malades, s'il faut aider la recherche toujours et encore plus, la politique de prévention est essentielle et elle est de la ter
rible responsabilité de chacun. Or, cette responsabilité-là est presque oubliée, comme si l'État était le seul empêcheur de faire l'amour en rond.
La recherche effrénée d'un bonheur mythique est une autre cause des progrès de la peur des maladies. Les médias et les publicités véhiculent l'image de gens beaux, heureux et bien portants. S'éloigner de ce modèle social inquiète. Chacun se découvre malade de ne pas ressembler à ces surhommes et à ces femmes de rêve montrés en exemple. La maladie résulte des frustrations, du décalage entre le rêve et la réalité. La peur de la maladie n'est pas seulement la fuite devant les microbes, c'est aussi la crainte de ne pas à être à la hauteur des rêves sociaux_


La peur de l'économie
Comment l'économie ne nous ferait-elle pas peur ? Il
n'est pas un jour sans qu'une catastrophe nouvelle nous soit
annoncée ? L'économie française serait à la veille d'un
grand effondrement. Les Chinois, les Indiens et les Améri-
cains réunis s'apprêtent à lui donner le coup de grâce. Les
marchés ouverts aux produits français se referment et l'es-
pace français se déchire devant les envahisseurs. Chez nous,
les autos sont japonaises mais aussi les pianos et les télévi-
seurs. Les Italiens sont maîtres du vêtement à moins que ce
ne soient les Mauriciens. Nous avons abandonné la chaussure
aux Anglais, les tomates et les melons aux Espagnols, les
machines-outils aux Allemands, les montres aux Suisses. La
pâte à papier aux Nordiques. Les Allemands colonisent notre
presse. Les Anglo-saxons sont les maîtres du cinéma et du
show-bizz. Et, en ces temps de sida, on dit même que nos
préservatifs viendraient de Hong Kong ce qui serait faire
injure aux supermen à la française. Les immigrés, après nous
avoir volé nos emplois chez nous, seraient même en passe de
les dérober chez eux avec les délocalisations.
D'ailleurs, le chômage est là, bien présent, installé comme
une lente gangrène qui gagne tout le corps social. Nous avons
longtemps cru qu'il ne frappait que nos voisins et puis nous
avons constaté que nos proches et nous-mêmes étions
concernés par ce mal pernicieux. Depuis, nous avons cessé
de faire confiance à nos gouvernants. Nous supportions leurs
turpitudes et leurs légèretés dans les temps d'aisance. Nous
ne les tolérons plus maintenant que la bise est venue.
Alors nous avons peur. Un simple regard moins tendre de
notre patron nous pare annoncer un prochain licenciement.
Que le franc éternue et nous pensons avoir la bronchite. Si le
TGV ou l' Airbus perdent un seul marché, nous nous sentons
aussitôt concerné par cet échec. Nous qui étions antimili-


taristes, nous applaudissons sitôt que Dassault vend un avion à un dictateur de troisième catégorie. Nous nous attendons à ce que notre usine soit rachetée par un Japonais à moins que l'Arabe que l'on dit propriétaire à la fois de l'épicerie du coin et du Ritz ne la rachète. Nous n'avons plus le moral et l'éco­nomie nous paraît à la dérive.
Il faut dire que les économistes y ont mis du leur. Ils nous avaient annoncé, il y a peu, que l'ère de l'abondance était définitivement arrivée. La croissance était leur leitmotiv. Ils nous promettaient que chaque année nous apporterait davantage. Plus de richesse pour tous et pour chacun, tel était leur slogan. Ils croyaient avoir définitivement maîtrisé l'économie. La prévision était leur spécialité et il la transformait en équations de certitudes. Ils méprisaient ceux qui osaient douter de leurs certitudes mathématiques. Il n'y avait pas de salut hors des économètres et pas de compétence reconnue hors des spécialistes formés à la dure discipline des grandes écoles.
Ils avaient tout prévu sauf la glorieuse incertitude de la vie des hommes et des nations. Quand le pétrole est venu à manquer, ils ont aussitôt expliqué ce qu'ils n'avaient pas prévu et annoncé des cataclysmes meurtriers dus à la pénurie du pétrole. Leur doctrine nouvelle n'était pas plus tôt forgée qu'ils étaient démentis par les faits et qu'une nouvelle abondance de cette matière première apparaissait.
Face au chômage, leur discours n'est pas plus cohérent. Pour les uns, il faut réduire le temps de travail. Pour les autres, le retour, aux cadences infernales nous guette. L'ordinateur est la cause de tous les maux pour les uns alors que les autres proposent de casser ce nouveau métier à tisser. Le franc fort est la panacée pour les uns, l'explication de toutes les défaillances pour les autres.
Je comprends que les Français soient désorientés devant ces discours aussi contradictoires des techniciens et qu'ils


attendent beaucoup de leurs élus. Mais là encore nous ne trouvons que fausses réponses et désordres de pensée et d'action.
Les socialistes croyaient avoir découvert une solution miracle qui s'appelait nationalisation. Ils sont partis dérober à grand renfort d'argent public des pans entiers du secteur privé croyant y trouver tout l'argent des riches. Patatras, ils se sont laissés aller à la tentation d'y placer leurs copains et leurs coquins. Délivrés des rudes contraintes de la gestion privée, ils ont creusé des gouffres que l'on n'a pas fini de découvrir. Ils avaient tout simplement oublié que l'État est un piètre gestionnaire, parce qu'il ne peut jamais totalement s'affranchir de la pression des partisans et des courtisans. La droite revenue au pouvoir ne s'est pas encore libérée, prudence oblige, des postulats socialistes. Elle dénationalise, certes, mais elle ne résiste pas à la tentation de maintenir le pays sous tutelle étatique. Pendant ce temps, l'économie continue de déraper et notre peur s'accroît. Nous nous demandons où va l'économie française et nous craignons qu'elle n'aille nulle part. Notre peur se manifeste par le découragement.
Jeunes, écoliers et étudiants, nous n'échappons pas au pessimisme ambiant. Voici des justifications toutes trouvées à la paresse, à l'inaction, à l'hésitation. Si le monde de demain est vraiment fermé, à quoi cela peut-il vraiment servir de se décarcasser ? Nombre d'adultes partagent ce sentiment.
Inquiets pour le sort de leur entreprise, ils sont tentés de baisser les bras et d'aggraver leur situation. A la recherche d'un emploi, ils ont peur de la précarité et recherchent en vain la situation idéale tandis que des milliers d'emplois ne trouvent pas preneurs.
L'État favorise tous ces comportements. Il a créé une profession nouvelle, celle de chômeur assisté, à ne rien faire. C'est la plus mauvaise des solutions car elle encourage à la


paresse et crée à elle seule un nouveau chômage. Ce n'est pas

en restant désoeuvré que l'on développe en soi les qualités

nécessaires pour trouver un travail. Ce qui devrait être une

assistance à la réinsertion se transforme en un dû qui ancre

ses destinataires dans le chômage. Les syndicats y poussent,

eux qui préfèrent des chômeurs enflant les statistiques à des

personnes en voie de réinsertion payées hors des normes et

des conventions.

Ils réussirent même à jeter les adolescents dans la rue pour

lutter contre ce qu'ils appelaient le SMIC Jeune. Cette

mesure avait sans doute été mal expliquée par des techno-

crates. Mais elle participait de la seule idée qui vaille en ma-

tière de chômage.

C'est en travaillant que l'on retrouve un emploi et non en

restant les bras croisés. C'est en se frottant aux réalités des

entreprises que l'on développe ses aptitudes et non en se ter-

rant chez soi parce que l'emploi idéal n'a pas été trouvé.

Alors, cessons de croire aux miracles dispensés par les

charlatans de la politique et revenons aux idées simples. La

bonne santé de l'économie ne se décide pas par décret. Elle

dépend de nous, de nos efforts, de notre volonté.

On nous a trop longtemps fait croire à une fée économie

indépendante de nous. Nous avons découvert, à sa place, une

sorcière malfaisante. Retroussons nos chemises et mouillons-

les. L'économie c'est nous et personne d'autre.

ET SI ON EN TERMINAIT AVEC LA FRANCOPHOBIE FRANCAISE ?