EXISTE-T-IL UNE FRANCOPHOBIE FRANÇAISE ?
Les Français seraient-ils
devenus francophobes ?
Ils ont pourtant des
services publics performants, des équipements de qualité, des écoles toujours
plus modernes, une durée de vie sans cesse prolongée grâce
au progrès médical, un bien-être menacé mais réel, une protection sociale quasi
miraculeuse malgré la crise .ils présentent pourtant des mines renfrognées, des
visages fermés comme hermétiques au bonheur. Dans cette
France-là, les journaux n'ont plus de rubriques pour
faire rire. Ils égrènent les catastrophes comme
d'interminables chapelets. Quand il n'existe pas assez de malheurs montrables
chez nous, ils vont les chercher à l'étranger.
L'image qui se dégage de
l'addition de tous ces malheurs exhibés est celle d'une France
assiégée par toutes les calamités et où les malheurs
présents ne sont qu'insignifiants à côté de ceux qui
s'annoncent.
Les Français se croient
malheureux et ils écrivent, chaque jour, une nouvelle page de
la chronique de leur terrible condition. Ils ne croient plus
leurs prêtres. Ils méprisent leurs hommes politiques. Ils
abandonnent parfois même leurs parents dans des hospices
la veille des week-ends et leurs chiens sur le bord des
autoroutes quand résonne le grand appel du mois d'août. Ils
n'ont plus guère le temps de s'occuper de leurs
enfants. Ils ne connaissent plus leurs voisins. Ils se
barricadent chez eux le soir venu. Ils n'ont jamais autant
possédé dans leur histoire et ils croient manquer de tout. En un mot, ils se
croient malheureux.
Cet état me paraît être le
résultat d'une psychose collective qu'il faut traiter
d'urgence.
Les Français me paraissent
victimes d'une grande intoxication.
Les peurs se nourrissent de chiffres. Notre époque a vu triompher
les
chiffres sur les lettres. Il n'est de savant que de
mathématique. Il n'est de
compréhension de la société que statistique. Le quantitatif l'a emporté
sur le qualitatif. Avec toutes ses conséquences négatives. Le nombre l'emporte
sur l'individu. L'erreur d'une prétendue majorité devient la loi commune. Sondage
fait loi. Nombre de peurs résultent de cette approche. Il y aurait dans
notre société un coefficient mathématique qui ne pourrait que pousser au
pessimisme.
Les Français
seraient trop peu nombreux dans un monde trop peuplé.
La langue française
subirait l'assaut irrémédiable de langues barbares parlées par trop de
personnes.
Les entreprises
françaises ne seraient pas d'une taille suffisante face à
leurs rivales. Il y aurait trop de charges sociales, trop
d'impôts, trop de fonctionnaires, trop de personnes seules, trop
de vieux, trop de délinquants, trop d'étrangers. Mais aussi trop de tomates,
de poussins, de blé.
Et, en bonne
logique mathématique, les moins sont aussi présents à l'appel.
On ne trouve pas assez d'emplois, pas assez d'écoles et de Facultés, pas
assez de places dans les crèches, pas assez de revenus pour faire
face aux exigences sociales, pas assez d'infirmières, pas assez de
contrôleurs du ciel, pas assez de policiers et de gendarmes, pas assez
de clients chez les marchands, pas assez d'hommes politiques populaires.
Arrêtons là la
liste ridicule de ces plus et de ces moins et chassons ces
chiffres partiaux, partiels, inexacts.
Ils prétendent
tout expliquer et ils ne permettent rien de comprendre. Ils
n'annoncent les crises que lorsqu'elles se produisent et les
embellies lorsqu'elles sont déjà évidentes. Les chiffres sont
l'image d'une société passive qui subit son destin au lieu de
le commander, qui observe au lieu d'agir. Le compte est
mauvais. Il génère les peurs d'aujourd'hui. Ces peurs toujours
plus nombreuses rendent les Français malheureux.
La peur de l'insécurité
L'insécurité
figure parmi les premières de nos préoccupations.
La peur commence
dans les ascenseurs des parkings, des commerces, des
immeubles. Venant de ma ville de province et entrant pour
la première fois dans un ascenseur parisien, je saluai
timidement les personnes présentes, aucune voix ne me
répondit. Dans un premier temps, je mis ce comportement
sur le compte de l'impolitesse ou de la goujaterie. Puis, en
voyant la porte s'ouvrir à destination, et les occupants se ruer
vers la sortie, je compris la raison de leur comportement. Ce
court voyage en commun les effrayait. Ils avaient peur de leurs
voisins d'ascension et préféraient réduire à un strict minimum
la communication avec eux.
Nous avons tous le souvenir
de nos peurs d'enfants. Elles sont souvent liées à la
difficile découverte du monde des adultes et aux frayeurs que
nous communique notre entourage. Les peurs sociales
modernes nous infantilisent. Elles nous ramènent dans un monde
simpliste où les méchants sont légion et se liguent pour
nous abattre.
Il est vrai que la
vie quotidienne est empoisonnée par la petite délinquance.
Que celui qui n'a pas été cambriolé, dont la voiture ou la
moto n'ont pas été volées lève la main. Cette insécurité
est réelle, pesante. Elle enlève beaucoup du plaisir quotidien
de vivre. Elle repose en grande partie sur une complicité
passive du corps social, qui tolère l'inacceptable en se contentant
de s'en remettre à des forces de police par ailleurs critiquées
et raillées à tort et à travers. Mais, cette insécurité de
proximité ne doit pas faire oublier tout le reste. La France reste un pays
paisible où la liberté d'aller et de venir en toute quiétude
est assurée, où les truands sont poursuivis et jugés de
façon implacable. Il n'empêche. La grande psychose de la peur
s'est emparée de tous. Les Français se méfient les uns
des autres. S'ils tentent de demander leur chemin dans la rue, le passant
pressera son pas en feignant de les ignorer. Il les craint. Il
pressent dans leur demande un je ne sais quoi d'inavouable.
La France moderne se clôture,
s'enferme, se blinde, se forge des remparts de ses alarmes. Rares
sont les veillées ou les repas qui ne comprennent pas leur couplet sur la
délinquance. Le loup-garou est parmi nous.
Si les citoyens ont raison de se
plaindre de la délinquance, ils oublient que notre société leur
apporte un degré de sécurité qui n'avait jamais été atteint dans notre
histoire. La statistique de la délinquance renforce la psychose de
l'insécurité. Voici que l'on a décidé de compter les crimes, les délits et les
contraventions. Et que l'on mélange les torchons et les
serviettes. Une contravention de stationnement plus un excès de vitesse
plus un chèque en bois plus une tentative d'homicide plus une escroquerie à
l'assurance, cela donne un résultat aussi probant que d'affirmer
que si on mange du caviar à midi, si on fait une promenade en voiture l'
après-midi et si on lit du Gide le soir les crevettes vaudront moins cher l'été
prochain. Cette addition, tous sévices compris, donne à tout un
chacun l'impression d'une marée montante de la délinquance qui accentue le
phénomène et libère la peur. Mettre toutes les délinquances dans le même
panier autorise toutes les exagérations, toutes les extrapolations, toutes les
erreurs de jugement aussi. La délinquance n'est pas une. Elle est
diverse. Elle regroupe l'ensemble des conduites condamnées par le
groupe social à un moment donné. Mais celles-ci ne font pas toutes
l'objet de la même réprobation. Dans une société qui s'inquiète de la
délinquance contre les biens, la constatation des infractions aux règles de
la circulation routière et son insertion dans une statistique
générale de la délinquance n'a pour seul résultat que d'accroître la
frayeur qui résulte de l'accroissement de la délinquance alors
qu'elle
n'a pas grand-chose à voir avec le problème de la sécurité
publique.
La peur est le
support d'une florissante industrie de la sécurité. Les
architectes et entrepreneurs sont frappés de constater
que souvent, avant même de connaître le plan de leurs
maisons, leurs clients se préoccupent de la dimension de
leurs clôtures. Selon les standings, les murs sont plus hauts,
les barbelés plus serrés. Il faut se défendre contre les intrusions.
Et comme ces remparts sont insuffisants, les caméras
et les alarmes viennent compléter la panoplie. Dans tous
les quartiers retentissent périodiquement ces sirènes dont
plus personne ne se soucie tant leur déclenchement opportun
ou intempestif est devenu habituel à nos oreilles. A force
de crier en permanence au loup, les fauves peuvent désormais
attaquer en toute impunité. Comme tout cela est inefficace
et dérisoire, les Français modernes s'arment de plus
en plus. Nombre de ces armes se trouvent en vente libre dans les hypermarchés
ou les catalogues de vente par correspondance. L'auto-défense
est soutenue par des ligues de plus en plus nombreuses et
puissantes. Il ne fait pas bon les attaquer lorsque l'on
cherche à être élu. La revendication principale
est celle de l'accroissement des forces de police et de gendarmerie
sur laquelle s'accordent candidats de droite, de gauche
et du centre. Le ministre de l'Intérieur reçoit tous les jours
des demandes de ce type. Comme il ne peut toutes les satisfaire, se développent
les polices municipales, les gardes privées. Dans ce grand
foisonnement d'uniformes, il est devenu si difficile de reconnaître les siens
que même les truands ont trouvé la parade et
commencent à investir dans la prise de contrôle des
sociétés de surveillance.
La peur de
l'insécurité renforce l'insécurité. Quand il arrive
que toutes ces forces se mélangent, s'affrontent ou se lancent
dans une telle concurrence que leurs efforts au lieu de s’additionner
s’annulent.Les policiers se méfient des gen-
darmes qui honnissent les policiers municipaux qui
considèrent les gardiens privés comme des usurpateurs.
La peur de l'insécurité génère
des comportements qui accroissent cette insécurité. L'homme qui
a peur ne porte plus secours. Il ne se dérange plus quand la
délinquance frappe à la porte de son voisin ou le passant
dans la rue. Il n'informe plus les policiers ou les
gendarmes qui deviennent d'autant plus aveugles ou sourds
qu'ils ne quittent plus guère les sièges de leurs voitures.
Les citoyens pensent que, puisqu'ils assurent par leurs impôts
le financement de la sécurité publique, ils ont rempli
leur dette sociale et peuvent rester passifs devant la délinquance.
Or, sans concours social,
aucune lutte contre la délinquance n'est possible. Les Français si prompts à
s'élever contre la délinquance n'aiment guère les
forces de sécurité. Ils demandent, tout à la fois, plus de
policiers et plus de gendarmes et ne font rien pour leur venir
en aide. Ce comportement est dans une certaine mesure
justifié. La police a une mauvaise image due à des
comportements de commandement qui ne correspondent plus à l'état de la société.
Il ne suffit plus d'insulter pour se faire obéir ou d'imiter les comportements
des truands pour lutter contre la délinquance. Même
si la police moderne a une meilleure formation, il reste un
vieux passif à liquider. Les Français pensent, à tort et parfois
à raison, que les forces de sécurité sont mal employées. Huit
gendarmes autour d'un radar, pendant que les voleurs opèrent,
donnent l'image de la recherche de la facilité plutôt que
celle de l'effort. Deux heures pour déposer une plainte pour
un vol banal illustrent le retard de modernisation de la police.
Tout ceci est vrai mais ne justifie pas la passivité devant
la délinquance.
Rien n'est possible sans la
participation de tous. Il ne s'agit pas de délation
mais de devoir civique. Tolérer la délinquance qui se déroule
sous nos yeux c'est nous enlever le
droit de nous plaindre demain de
celle qui nous atteindra. Tolérer certaines
formes de délinquance ou y participer, c'est détruire la cohésion sociale qui est nécessaire pour que les autres délinquances soient combattues. Ils sont légion ceux qui volent les matériaux déposés au bord des routes, ceux qui chapardent
au supermarché, ceux qui se servent dans les distributeurs automatiques en panne, ceux qui s' approprient quand ils le peuvent le bien d'autrui. Ils sont nombreux ceux qui choisissent le voleur contre le gendarme.
Les Français
ont peur de la délinquance. Ils devraient souvent avoir peur d'eux-mêmes. La délinquance se balaye avant tout devant notre porte.
La
peur de l'autre
Pendant la Seconde
Guerre mondiale, une des émissions les plus écoutées de
la France Libre s'intitulait "Les Français parlent aux Français". Le
slogan d'aujourd'hui pourrait être rigoureusement inverse
: les Français ne savent plus parler aux Français. Ils les
côtoient, les affrontent, leurs adressent parfois
quelques mots mais, pour l'essentiel, les Français ne savent plus se parler.
Comme ils ne
se connaissent plus, ils tentent de se découvrir dans
quelque talk-show des chaînes de télévision. Leur voisin de palier s'y révèle fort intéressant alors qu'ils ne lui avaient jamais adressé la parole.
Cette frayeur se
communique dans tous les aspects de la
vie sociale. Les Français ont peur de leurs voisins, de leurs
collègues de bureau, de leurs patrons, de leurs gouvernants.
Les Parisiens ont peur des provinciaux. Les Corses craignent
les continentaux. Ceux-ci se méfient des Pieds-Noirs. La
crainte de l'autre est devenue une sorte de maladie nationale.
Les citoyens ont peur de leur État. Ils craignent le fisc, la
vie sociale. Les Français ont peur de leurs voisins, de leurs
collègues de bureau, de leurs patrons, de leurs gouvernants.
Les Parisiens ont peur des provinciaux. Les Corses craignent
les continentaux. Ceux-ci se méfient des Pieds-Noirs. La
crainte de l'autre est devenue une sorte de maladie nationale.
Les citoyens ont peur de leur État. Ils craignent le fisc, la
justice, mais aussi le maître d'école, le gendarme.
Tout représentant de l'autorité est devenu suspect. Chacun craint de ne pas être en
règle. La réglementation est devenue si complexe qu'elle n'est plus
intelligible et qu'elle ouvre la porte à tous les arbitraires. Les Français
si empreints de sentiments égalitaires n'ont de cesse de réclamer
des interventions et des passe-droits. Ils leur paraissent le seul
moyen d'obtenir ce qui leur est dû. Les élus sont transformés en assistants sociaux de citoyens apeurés par un État qui leur
est devenu étranger. Notre pays a
développé un corps de fonctionnaires nombreux,
assez compétents mais qui ont sécrété des règles dont ils sont les seuls à connaître le mode d'emploi. Les moyens de défense ne manquent pourtant pas. Les
recours devant les tribunaux se multiplient mais la justice administrative est noyée sous le flot des procès et elle
intervient trop tard et mal. Quand
les citoyens se sentent davantage menacés par les structures collectives que protégés pas elles, il y a quelque chose de pourri dans la société. Mais, il
entre aussi dans cette peur une
grande part d'irrationnel. C'est la passivité des citoyens qui engendre les débordements des agents de l'État. Comment les élus peuvent-ils être
assoupis au point de ne pas sentir la
colère contre l'État qui gronde ? Comment peuvent-ils rester spectateurs devant la dérive technocratique de la société qui les prive de tout réel moyen de
contrôle démocratique ? Cette peur de
l'État Autre qui paralyse les électeurs
n'est qu'une des facettes de la rétractation des citoyens sur eux-mêmes.
La peur se prolonge dans les
rapports personnels. On ne rencontre, aujourd'hui, que des Français
qui ont peur de s'engager. Peur de se marier de crainte d'être déçus.
Peur d'avoir des enfants devant les difficultés sociales. Peur de
choisir un emploi en raison de l'évolution rapide des
qualifications. Peur de quitter sa ville ou sa région. Peur de créer et
d'entreprendre.
Chacun se sent
incapable de faire des choix qui aillent à l'écart de la stricte
survie individuelle et, dans le même temps,
s'inquiète de l'esprit d'initiative des autres.
L'autre, c'est le Français dynamique qui crée et entreprend et
qui devient de ce fait suspect et jalousé.
La réaction de la
France à l'égard de l'étranger est ainsi devenue frileuse et
suspicieuse. Notre pays qui s'honorait de son esprit
d'initiative et de création n'a plus qu'une seule idée.
Empêcher ceux qui entreprennent de le faire. Se fermer et
se rétracter devant l'étranger.
La gauche et la droite embouchent les mêmes trompettes pour
répondre à cette peur des Français.
Portée par l'esprit
de la chasse aux sorcières, la gauche avait découvert
l'ennemi à abattre en 1982, c'était le groupe de
presse Robert Hersant censé être trop puissant. Le combat mobilisa
les plus beaux esprits qui n'avaient pas trop de toutes
les ressources de leur intelligence pour décrire les turpitudes
supposées de ce monstre papivore. Ce combat ne pouvait
que faire sourire tous ceux qui savaient que ce groupe
n'était qu'un nain face aux géants mondiaux de la communication
et qu'il constituait une des seules chances de la
France dans la compétition mondiale. Dix ans plus tard, dix
ans trop tard, la France découvre qu'elle s'était méprise et
que, pour avoir refusé le développement d'un grand groupe
de communication, elle est aujourd'hui absente du grand
combat mondial de la communication.
La droite commet
les mêmes erreurs et développe, en les amplifiant, les
mêmes comportements. Un pays fort devrait favoriser ses citoyens
les plus entreprenants, les pousser à investir à
l'étranger. Mais les gouvernants cèdent aux peurs collectives et érigent des
barrières de protection qui s'avéreront vite inefficaces. La
politique qui résulte de ces peurs s' appelle quota.
Quota
de chansons françaises, de films français, de voi-
tures françaises. En
attendant les quotas de carottes ou de
livres français.
Les
défenseurs des quotas sont populaires. Ils apportent
une
réponse à la peur de l'étranger. Et ils ne changent rien.
Car
la société actuelle est mondiale et la communication s'y
développe sans frontières.
H n'y a plus de mur de Berlin.
Le
combat pour la langue française s'est déroulé sous le
même
signe de frilosité. Au lieu d'exalter l'esprit inventif, de
promouvoir
la richesse de notre langue, il a pris le visage
d'une
réglementation répressive et tâtillonne de l'usage de la
langue.
La peur de l'anglais a prévalu sur la conscience de la
richesse
d'une langue et d'une civilisation créatrices.
Comme
si le seul remède à la peur des autres se trouvait dans
le repli sur nous-mêmes.
Le
résultat de ces protectionnismes est particulièrement
visible
dans notre production cinématographique. Notre ci-
néma
en dehors de quelques succés-est devenu une structure bureaucratisée par les
commissions administratives et les subventions. La
protection
favorise
les médiocres. Elle aboutit à la création de produits
ésotériques,
inexportables. A l'abri de cette coterie malthu-
sienne,
le cinéma américain continue son ascension. Enfer-
més
dans notre cocon, nous nous privons de la possibilité de
demander les réciprocités,
de promouvoir nos productions.
La peur de l'autre est la
conseillère du pire.
La
peur de la maladie
Jamais
la France dans son histoire n'a été si bien portante.
La
longévité atteint des niveaux inégalés. Les progrès de la
médecine
permettent de rester plus longtemps en meilleure
santé.
La qualité des soins et leur couverture sociale n'ont
jamais été aussi
perfectionnés. Il n'empêche !
Les
Français ne se sont jamais sentis aussi malades.
Notre pays bat tous les records de
consommation de tranquillisants pour ne pas parler de tous
les autres médicaments. La peur des maladies et
singulièrement celle du Sida se développe et ravit la
vedette à tous les autres débats. La demande de
santé progresse à une vitesse fulgurante au point que l'on
peut se demander si les Français sont subitement atteints
d'une faiblesse collective. Ce mal national n'est pas dû à un quelconque virus.
Il relève bien de la psychologie collective ou, pour employer un langage médical,
de la psychose.
La prise en charge
collective des risques de maladie est un progrès
indiscutable et irréversible de notre société. Elle assure
à chacun une protection égale, dans des conditions de confort
et d'économie indiscutables. Mais, à l'abri de cette protection,
se sont développés des comportements qui expliquent
la peur actuelle.
La première
déviation consiste à gommer toute responsabilité
individuelle. La santé est un bien fragile. Elle n'est pas également partagée.
Chaque individu dispose dans ce domaine d'un capital qu'il
lui appartient de développer, de protéger, d'entretenir. La
santé est largement dépendante de nos choix de vie. En
protégeant à l'excès l'individu, on lui a enlevé le sens de sa
propre responsabilité. On lui a fait croire que
l'État peut assurer la santé à sa place. Le malade est d'autant
plus surpris lorsque la maladie l'atteint. Il est tenté de
la mettre sur le compte d'une défaillance des mécanismes collectifs
et de demander davantage à la société. Or, on ne peut
oublier la responsabilité de l'individu dans le désordre de
la santé. Il ne s'agit pas là d'un problème d'argent. Certains
songeraient, il est vrai, à faire payer à chacun le coût social
des maladies au surgissement desquelles il a contribué. On
imagine la difficulté qu'auraient ces tribunaux de la santé à
faire le partage du hasard, de la nécessité et de l'acquis. Mais,
hors de toute considération financière, il faut que chacun
considère que la maladie n'est pas toujours une fatalité. La
maladie n'est pas nécessairement autre. Elle est aussi une flamme que l'on
couve. Pour l'avoir trop oublié, les Français finissent
par se faire peur à eux-mêmes. Ils s'effraient du désordre
qu'ils ont initié.
Le scientisme
triomphant des années soixante est également une des causes
des peurs modernes. La France croyait en avoir fini avec
les maladies, les microbes et les virus. Voici que,
brutalement, elle redécouvre que ce combat-là durera
autant que le monde, qu'il est à l'image de la guerre permanente
que se livrent les hommes depuis la création. Là aussi
la der des ders n'existe pas.
Tous ces
comportements se rencontrent dans la grande peur du sida. Tous
les espoirs reposent sur la recherche. Il est fait reproche à
l'État de ne pas faire assez, de le
faire trop tard, de le faire mal. Et, chacun
d'oublier la grande et terrible évidence moderne. Hélas,
pour l'heure, le seul traitement radical contre le sida
consiste à s’en protéger . S'il faut déployer des efforts
démesurés pour assister et soigner les malades, s'il faut
aider la recherche toujours et encore plus, la
politique de prévention est essentielle et elle est de la ter
rible responsabilité de chacun. Or,
cette responsabilité-là est presque oubliée, comme si
l'État était le seul empêcheur de faire l'amour en rond.
La recherche
effrénée d'un bonheur mythique est une autre cause des
progrès de la peur des maladies. Les médias et
les publicités véhiculent l'image de gens beaux, heureux et bien
portants. S'éloigner de ce modèle social inquiète. Chacun
se découvre malade de ne pas ressembler à ces surhommes
et à ces femmes de rêve montrés en exemple. La maladie
résulte des frustrations, du décalage entre le rêve et la
réalité. La peur de la maladie n'est pas seulement la fuite devant
les microbes, c'est aussi la crainte de ne pas à être à la hauteur des rêves sociaux_
La peur de
l'économie
Comment l'économie ne nous ferait-elle pas peur ? Il
n'est pas un jour sans qu'une
catastrophe nouvelle nous soit
annoncée ? L'économie française serait à la veille
d'un
grand effondrement. Les Chinois,
les Indiens et les Améri-
cains réunis s'apprêtent à lui
donner le coup de grâce. Les
marchés ouverts aux produits
français se referment et l'es-
pace français se déchire devant
les envahisseurs. Chez nous,
les autos sont japonaises mais
aussi les pianos et les télévi-
seurs. Les Italiens sont maîtres
du vêtement à moins que ce
ne soient les Mauriciens. Nous avons abandonné la
chaussure
aux Anglais, les tomates et les
melons aux Espagnols, les
machines-outils aux Allemands,
les montres aux Suisses. La
pâte à papier aux Nordiques. Les
Allemands colonisent notre
presse. Les Anglo-saxons sont les
maîtres du cinéma et du
show-bizz. Et, en ces temps de sida, on dit même que
nos
préservatifs viendraient de Hong
Kong ce qui serait faire
injure aux supermen à la
française. Les immigrés, après nous
avoir volé nos emplois chez nous,
seraient même en passe de
les dérober chez eux avec les
délocalisations.
D'ailleurs, le chômage est là, bien présent, installé comme
une lente gangrène qui gagne tout
le corps social. Nous avons
longtemps cru qu'il ne frappait
que nos voisins et puis nous
avons constaté que nos proches et
nous-mêmes étions
concernés par ce mal pernicieux.
Depuis, nous avons cessé
de faire confiance à nos
gouvernants. Nous supportions leurs
turpitudes et leurs légèretés
dans les temps d'aisance. Nous
ne les tolérons plus maintenant
que la bise est venue.
Alors nous avons peur. Un simple
regard moins tendre de
notre patron nous pare annoncer
un prochain licenciement.
Que le franc éternue et nous
pensons avoir la bronchite. Si le
TGV ou l' Airbus perdent un seul
marché, nous nous sentons
aussitôt concerné par cet échec. Nous qui étions
antimili-
taristes, nous applaudissons
sitôt que Dassault vend un avion à un dictateur de troisième catégorie. Nous
nous attendons à ce que notre usine
soit rachetée par un Japonais à moins que l'Arabe que l'on dit propriétaire à la fois de l'épicerie du coin et du
Ritz ne la rachète. Nous n'avons plus le moral et l'économie nous paraît à la dérive.
Il faut dire
que les économistes y ont mis du leur. Ils nous avaient annoncé, il y a peu, que l'ère de l'abondance était définitivement arrivée. La croissance était leur leitmotiv. Ils nous promettaient que chaque année nous apporterait davantage. Plus de richesse pour tous et pour chacun, tel était leur slogan. Ils croyaient avoir définitivement maîtrisé l'économie. La prévision était leur spécialité et il la transformait en équations
de certitudes. Ils méprisaient ceux qui osaient douter de leurs certitudes mathématiques. Il n'y avait pas de salut hors des économètres et pas de compétence reconnue hors des spécialistes formés à la dure discipline des grandes écoles.
Ils avaient
tout prévu sauf la glorieuse incertitude de la vie des hommes et des nations. Quand le pétrole est venu à manquer, ils ont aussitôt expliqué ce qu'ils n'avaient pas prévu et annoncé des
cataclysmes meurtriers dus à la pénurie du pétrole.
Leur doctrine nouvelle n'était pas plus tôt forgée qu'ils étaient démentis par les faits et qu'une
nouvelle abondance de cette matière première apparaissait.
Face au
chômage, leur discours n'est pas plus cohérent. Pour les uns, il
faut réduire le temps de travail. Pour les autres,
le retour, aux cadences
infernales nous guette. L'ordinateur est la cause
de tous les maux pour les uns alors que les autres
proposent de casser ce nouveau métier à tisser. Le franc fort est la panacée pour les uns, l'explication de toutes les défaillances pour les autres.
Je comprends
que les Français soient désorientés devant ces discours aussi
contradictoires des techniciens et qu'ils
attendent beaucoup de leurs élus. Mais là encore nous ne trouvons que
fausses réponses et désordres de pensée et d'action.
Les socialistes croyaient avoir découvert
une solution miracle qui s'appelait nationalisation. Ils sont partis
dérober à grand renfort d'argent public des pans entiers du secteur privé croyant y
trouver tout l'argent des riches. Patatras, ils se sont laissés
aller à la tentation d'y placer leurs copains et leurs coquins.
Délivrés des rudes contraintes de la gestion privée, ils ont
creusé des gouffres que l'on n'a pas fini de découvrir. Ils
avaient tout simplement oublié que l'État est un piètre
gestionnaire, parce qu'il ne peut jamais totalement s'affranchir de
la pression des partisans et des courtisans. La droite revenue au
pouvoir ne s'est pas encore libérée, prudence oblige, des postulats
socialistes. Elle dénationalise, certes, mais elle ne résiste pas à la
tentation de maintenir le pays sous tutelle étatique. Pendant ce
temps, l'économie continue de déraper et notre peur s'accroît. Nous nous demandons où va
l'économie française et nous craignons qu'elle n'aille nulle part. Notre
peur se manifeste par le découragement.
Jeunes, écoliers et étudiants, nous n'échappons
pas au pessimisme ambiant. Voici des justifications toutes trouvées
à la paresse, à l'inaction, à l'hésitation. Si le monde de demain est vraiment fermé,
à quoi cela peut-il vraiment servir de se décarcasser ? Nombre d'adultes
partagent ce sentiment.
Inquiets pour le sort de leur
entreprise, ils sont tentés de baisser les bras et d'aggraver leur
situation. A la recherche d'un emploi, ils ont peur de la précarité
et recherchent en vain la situation idéale tandis que des milliers
d'emplois ne trouvent pas preneurs.
L'État favorise tous ces comportements.
Il a créé une profession nouvelle, celle de chômeur assisté, à ne rien
faire. C'est la plus mauvaise des solutions car elle encourage à la
paresse et crée à elle seule un nouveau chômage. Ce n'est
pas
en restant désoeuvré
que l'on développe en soi les qualités
nécessaires pour
trouver un travail. Ce qui devrait être une
assistance à la
réinsertion se transforme en un dû qui ancre
ses destinataires dans
le chômage. Les syndicats y poussent,
eux qui préfèrent des
chômeurs enflant les statistiques à des
personnes en voie de
réinsertion payées hors des normes et
des conventions.
Ils réussirent même à jeter les
adolescents dans la rue pour
lutter contre ce qu'ils appelaient le SMIC Jeune. Cette
mesure avait sans doute été mal expliquée par des techno-
crates. Mais elle participait de la seule idée qui vaille en ma-
tière de chômage.
C'est en travaillant que l'on retrouve un emploi et non en
restant les bras croisés. C'est en se frottant aux réalités des
entreprises que l'on développe ses aptitudes et non en se ter-
rant chez soi parce
que l'emploi idéal n'a pas été trouvé.
Alors, cessons de croire aux miracles dispensés par les
charlatans de la politique et revenons aux idées simples. La
bonne santé de l'économie ne se décide pas par décret. Elle
dépend de nous, de
nos efforts, de notre volonté.
On nous a trop longtemps fait croire à une fée économie
indépendante de nous. Nous avons découvert, à sa place, une
sorcière malfaisante. Retroussons nos chemises et mouillons-
les. L'économie c'est nous et personne d'autre.
ET SI ON EN TERMINAIT AVEC LA FRANCOPHOBIE FRANCAISE ?